3.2.1.3.Théorie de l’auto-catégorisation de J. –C. Turner. La notion de la compétition sociale

Turner (1974) développe les idées de Tajfel en proposant la notion de la « compétition sociale ». Cette notion est à la base d’une expérience de Turner (1972) sur les conditions où une répartition en deux groupes ne mène pas inévitablement à une discrimination. Elle désigne la compétition qu’utilisent les groupes pour essayer d’établir une différence positive entre eux. Turner crée une situation où il y montre que l’évaluation positive de soi peut s’établir par l’identification avec un groupe ou par l’établissement de différences entre soi et les autres. Selon la théorie de l’auto-catégorisation, quand les individus se catégorisent en tant que membres d’un groupe, le soi est vu comme un exemplaire du groupe, plutôt que comme un être unique. Les différences interpersonnelles deviennent non pertinentes, et les affinités entre soi et les autres membres du groupe d’appartenance viennent à l’avant-plan. En d’autres termes, les représentations cognitives du soi et du groupe deviennent inextricablement liées (Smith ; Smith et Henry, 1996). Donc, quand l’individu se défini comme l’individualité, il est motivé à améliorer son identité personnelle. Mais quand il se défini en tant que membre d’un groupe, il perçoit ses buts, besoins et valeurs comme interchangeables avec les autres membres ; dès lors il est motivé à améliorer le sort commun.

En résumé, la théorie de l’auto-catégorisation postule que la conception de soi d’un individu s’établi à partir des catégorisations rendues saillantes par le contexte dans lequel il se trouve. Le critère de catégorisation retenu est celui qui permet de minimiser les différences à l’intérieur de la catégorie d’appartenance et de maximiser la différenciation vis-à-vis de la catégorie d’opposition. Cette théorie explique la polarisation de groupe comme la conformité à une norme de groupe extrémisée dans le cadre du contexte de comparaison. Turner indique que la catégorisation est au cœur du processus d’influence. Se catégoriser au sein d’un groupe aurait pour conséquence d’en adopter la norme. On s’attend à ce que le groupe dans lequel on se catégorise ait une perception de la réalité en accord avec la nôtre. C’est pourquoi, selon Turner, une minorité appartenant à l’endogroupe sera plus influente qu’une minorité issue de l’exogroupe (A. Elia Azzi, O. Klein, 1998)107. Pour Turner si l’auto-évaluation est un processus social, la compétition et l’identité sociale sont liées.

Dans la théorie de la catégorisation de soi, Turner considère qu’il existe trois niveaux de catégorisation : personnelle, groupale et humaine. La catégorisation personnelle implique les caractéristiques personnelles qui distinguent le soi des autres individus. La catégorisation groupale repose sur des comparaisons endogroupe-exogroupe et, de là, tente de définir la différenciation de l’endogroupe en comparaison avec l’ensemble des autres groupe sociaux. La catégorisation humaine englobe les catégorisations personnelles et groupales en ce sens que les ressemblances entre les humains au-delà des groupes sont accentuées et les dissemblances s’opèrent entre l’espèce humaine et les autres espèces.

J. –C. Turner distingue quatre sortes de compétitions entre groupes : le désir de récompense matérielle (conflits d’intérêts), les aspects comparatifs sociaux (compétition sociale), un chevauchement où une récompense matérielle sert de signe et de symbole pour une valeur différente, un chevauchement où une situation sociale compétitive donne naissance à un conflit d’intérêts. Partant d’un regard critique sur l’expérience de Tajfel et al., il est permis à Turner (1973) d’avancer que le processus sous-tendant la discrimination entre groupes est d’abord la comparaison sociale. Les comparaisons poussent à la définition d’identité sociale, l’expriment et la vérifient par comparaisons actives108.

Le résultat de ses expériences a montré que des sujets qui n’avaient pas besoin d’établir une discrimination entre groupes pour atteindre une identité positive ne feraient pas de discrimination entre membres de leur propre groupe et membres d’autre groupe. « …Les sujets s’identifient avec une catégorie sociale dans la mesure où cette identification leur permet de réaliser une valeur, dans la mesure où c’est la catégorie la plus pertinente dans la situation expérimentale pour réaliser leur évaluation positive de soi » (Turner, 1972). Comme écrit A. E. Azzi (1998), la théorie de Turner considère aussi qu’il existe un antagonisme fonctionnel entre la saillance de deux niveaux de catégorisation différents. Cet antagonisme fonctionnel entre ces niveaux signifie que la saillance d’un niveau de catégorisation diminue nécessairement celle des autres niveaux. La saillance de la catégorisation en groupes engendre donc une accentuation des ressemblances intragroupes et des dissemblances intergroupes qui réduisent ou inhibent la perception de différences intragroupes (qui s’appliqueraient si la catégorisation personnelle était saillante) ou de similitudes intergroupes (qui s’appliqueraient si la catégorisation humaine était saillante)109.

Cependant, certains chercheurs de l’Ecole de Genève (W. Doise, Deschamps) s’intéressent particulièrement aux effets de la hiérarchisation sociale sur le contenu et la structure identitaire. Ces auteurs critiquent le modèle de Tajfel et Turner (1979) qui limite la conception de l’identité à l’expression de dynamiques internes à l’individu. Pour ces chercheurs, ce modèle reste marqué par l’idéologie individualiste contemporaine prônant la suprématie de l’identité personnelle à travers la valorisation de la composante psychologique de l’identité au détriment de sa composante sociale110.

Notes
107.

A. E. Azzi, O. Klein (1998) Psychologie sociale et relations intergroupes, Paris, Dunod, p. 95.

108.

L. Baugnet Métamorphoses identitaires (2001) Bruxelles, P.I.E.- Peter Lang S. A., p. 42.

109.

A. E. Azzi (1998)Questions approfondies de Psychologie Sociale : les mécanismes psychologiques du nationalisme. http://www.minkowska.com/imprimer.php3?id_article=156

110.

H. Chauchat et S. Busquets Identité européenne. Crise sociale et crise identitaire chez des étudiants français en 1994, P.214 dans Chauchat H., Duran-Delvigne (1999) De l’identité du sujet au lien social, Paris, PUF.