Chapitre 4 : Culture et psychisme. Les phénomènes des contacts de cultures : les concepts d’acculturation et d’interculturalite

4.1.Le concept de culture dans les Sciences humaines

En parlant de la culture, il est impossible de rester seulement dans le cadre d’une seule discipline scientifique. Le concept de la culture est fondamental en anthropologie, ethnologie, philosophie, psychologie, sociologie et nous renvoie à plusieurs significations : « La culture, où se tient le plus clair de la conduite humaine, est également importante pour tout le monde, pour le psychologue, pour le sociologue, pour l’historien, pour le linguiste 126  » (B.Malinowski, 1968). Alors, chaque discipline appréhende la culture de manière particulière. C’est pourquoi on ne dispose pas à ce jour de définition de la culture qui soit totalement satisfaisante. D’une façon générale, on peut définir la culture comme une « caractéristique universelle complexe qui inclut les savoirs, les croyances, l’art, les mœurs, le droit, les coutumes, et toute disposition ou usage acquis et transmis par l’homme vivant dans une société donnée 127  ». Mais le nombre des définitions de la culture ne cesse de se multiplier. Kroeber et Kluckhon (1952) ont recensé 160 définitions sur une période qui s’étale de 1871, date à laquelle l’anthropologue Tylor avance une première proposition de définition de cette notion, jusqu’à 1950.

En sciences humaines, il est parfois difficile d’aborder la notion de culture, car elle ne constitue pas une réalité facile à cerner. Nous voulons citer plusieurs auteurs qui définissent la culture. Selon J. Bruner (2000), la culture est d’abord une production de la subjectivité humaine qui, en retour, donne forme à l’esprit qui l’a produite. Cette notion est proche de celle de Rocher (1969), qui définit la culture comme «  un ensemble lié de manières de penser, de sentir et d’agir plus ou moins formalisées qui, étant apprises et partagées par une pluralité de personnes, servent d’une manière à la fois objective et symbolique à constituer ces personnes en une collectivité particulière et distincte ». La culture, étant spécifique à chaque société, elle permet aux différents groupes humains de construire leurs propres valeurs et leurs croyances afin de se distinguer face à leurs voisins et d’affirmer une identité culturelle propre.D’après F. Hutchins (1995), « la culture n’est pas une collection de choses, qu’elles soient matérielles ou abstraites. C’est plutôt un processus. C’est un processus cognitif humain qui se réalise à la fois à l’intérieur et hors de l’esprit des gens 128  ». Autrement dit, ce n’est pas la culture qui produit l’individu, mais bien les individus qui produisent leur culture. En fait, les acteurs, comme écrit J. Demorgon (1999), ne sont jamais hors cultures, mais ils ne sont pas non plus de simples produits de leur culture. Conscients et volontaires, ils sont aussi producteurs de cultures129.

C. Clanet (1990) donne une définition psycho-anthropologique de la culture : « la culture comme un ensemble de système de significations propres à un groupe ou à un sous-groupe, ensemble de significations prépondérantes qui apparaissent comme valeurs et donnent naissance à des règles et à des normes que le groupe conserve et s’efforce de transmettre et par lesquelles il se particularise, se différencie des groupes voisins 130  ». La culture, selon Clanet (1990), c’est sans doute ce qui se fait et ce qui existe comme production de l’homme, mais c’est surtout et d’abord ce qui se fait et ce qui existe comme ayant du sens dans une communauté particulière. Elle peut être vue comme l’ensemble de formes imaginaires/symboliques qui médiatisent les relations d’un sujet aux autres et à lui-même, et, plus largement, au groupe et au contexte ; de même que, réciproquement, les formes imaginaires/symboliques qui médiatisent les relations du contexte, du groupe, des autres…au sujet singulier.

C. Camilleri (1991) utilise l’expression « culture promotionnelle » qui fait référence à un sens ancien et commun auquel se réfèrent la plupart des gens en parlant de la culture. Synonyme de savoirs acquis par transmission, la culture est définie comme les soins donnés à l’esprit de l’homme pour qu’il se développe et se perfectionne par l’instruction et les connaissances apportées par les différents milieux dans lesquels il évolue (famille, école, société). Il met l’accent sur le processus de formation qui permet de développer les possibilités intellectuelles et morales, de faire croître, de cultiver en chacun les capacités de la nature humaine (le sens critique, le goût, le jugement, etc.). D’après Camilleri, la culture est « l’ensemble plus ou moins fortement lié des significations acquises les plus persistantes et les plus partagées que les membres d’un groupe, de par leur affiliation à ce groupe, sont amenés à distribuer de façon prévalente sur les stimuli provenant de leur environnement et d’eux-mêmes, induisant vis-à-vis de ses stimuli des attitudes, des représentations et des comportements communs valorisés, dont ils tendent à assurer la reproduction par des voies non génétiques 131  ».

Cependant, la notion de culture reste relativement floue. En plus, cette diversité des définitions du concept de culture devient problématique parce que, comme écrit M. Lahlou (2008), elle a eu l’avantage de ne pas réduire sa richesse à une compréhension unique mais elle a en même temps créé des catégorisations culturelles localisées et résistantes à l’élaboration de lois générales 132 . Alors, «… si nous devions envisager l’interculturel au travers des comparaisons et des contacts de cultures, il faudrait bien préciser le sens et le contenu du concept de culture 133» (M. Lahlou, 2004). C’est pourquoi le concept de la culture a besoin d’être retravaillé puisque « contrairement aux savoirs accumulés et dispensés en d’autres temps, la description de la culture ne porte plus, aujourd’hui, sur ce que l’on appelait les « cultures indigènes mais sur l’ensemble des cultures humaines » (M. Lahlou, ibid.). Pour conclure, nous rappelons que la notion de culture s’oriente vers la diversité et la particularité d’une société car « pour qu’une culture existe, il faut qu’il y en ait au moins deux, car la culture ne se définit jamais que relativement. Elle se construit […] par rapport aux autres cultures 134 » (Latouche, 1999). Il n'y a donc pas de cultures pures et d'autres métissées. Toutes le sont plus ou moins à des degrés divers.

Notes
126.

B. Malinowski (1968) Une théorie scientifique de la culture, Paris, F. Maspero, p. 11.

127.

Z. Guerraoui, B. Troadec (2000) Psychologie interculturelle, Paris, A. Colin, p. 88.

128.

B. Troadec (2007) Psychologie culturelle. Le développement cognitif est-il culturel ?, Paris, Bélin, p. 23.

129.

J. Demorgon Un modèle global dynamique des cultures et l’interculturel, p. 82 in J. Demorgon, E. M. Lipiansky (1999) Guide de l’interculturel en formation, Ed. Retz.

130.

C. Clanet (1990) L’interculturel. Introduction aux approches interculturelles en Education et en Sciences Humaines, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, p. 15.

131.

C. Camilleri, M. Cohen-Emerique (1991) Chocs de cultures : concepts et enjeux pratiques de l’interculturel. Paris, L’Harmattan, p. 27.

132.

M. Lahlou Préface, p. 9in A. Gohard-Radenkovic, A. J. Akkari (2008) Coopération internationale : entre accommodements interculturels et utopies du changement, Paris, L’Harmattan.

133.

M. Lahlou Synthèse Rencontres et dialogues interculturels in M. – H. Eloy (2004) Les jeunes et les relations interculturelles, Paris, L’Harmattan, p. 255.

134.

B. Troadec (2007) Psychologie culturelle. Le développement cognitif est-il culturel ?, Paris, Bélin, p. 65.