4.1.3.Approche culturaliste : culture et personnalité

Le concept de culturalisme américain a connu son plein essor de 1920 à 1955. Ces auteurs furent marqués par la pensée de F. Boas, le fondateur de l’anthropologie culturelle et du linguiste Ed. Sapir. Dans ce même courant de pensée, se situent R. Benedict, M. Mead, R. Linton et A. Kardiner comme les plus représentatifs, mais il faut ajouter C. Kluckhohn, E. Fromm, M. J. Herskovits, etc. Etant la première association cohérente entre anthropologie et psyanalyse pour l’étude des phénomènes sociaux, le culturalisme établit de fait une distinction entre comportement social et comportement biologique et physiologique. L’école « culturaliste » cherche à interpréter les influences de la culture sur le modelage des acteurs sociaux.La culture est dès lors appréhendée comme un moule qui façonne les conduites et les représentations. F. Boas a été le premier à affirmer que « chaque culture a un style », et à s’intéresser aux « processus psychiques qui ont permis à chaque peuple de réaliser une synthèse originale » (Lévi-Strauss, 1991).

Cette approche a été influencée par la philosophie de l’histoire, la psychanalyse et la psychologie. L’un des représentants de ce courant, R. Benedict développa le concept de pattern of culture comme modèle, style de vie propre à chaque société. Benedict s’intéresse aux différences de personnalité selon les cultures. La culture se définit par une valeur centrale dominante, autour de laquelle viennent s’articuler certains traits en adéquation avec cette valeur. Chaque culture se caractérise alors par un pattern, c’est-à-dire par un certain style, une certaine configuration. Conformément à l’enseignement de Boas, Benedict indique clairement dans sa conception de culture que chaque culture est unique, et qu’il y a autant de « types » (« styles ») de cultures qu’il y a de sociétés concrètes139. Pour préciser les pulsions propres à chaque culture, leurs normes et leur orientation ontologique, elle distingue deux grands types de civilisation : apollinienne et dionysienne. Ces patterns culturels sont des modèles de vie postulant une certaine philosophie de la personne et donnent une définition de la personnalité socialement approuvée140. Chaque civilisation fournit à l’individu les matériaux bruts et les modèles à partir desquels il construit sa vie. Chaque groupe humain élabore le comportement humain avec les normes et les valeurs qui correspondent à ce comportement et qui s’y opposent. R. Benedict insiste sur le fait qu’une forme particulière de culture impose aux divers membres qui y participent des systèmes de valeurs différentes.

A. Kardiner, étant intéresséaux rapports entre anthropologie et psychanalyse, a construit la théorie de la personnalité de base, Basic Personality Structure, qui est, selon S. Clapier- Valladon, « … le plus intéressant essai de synthèse dynamique du psychisme et du culturel que la psychologie ait élaboré 141  ». Il considérait la personnalité comme source dynamique de la culture et le Moi comme précipité culturel. A. Kardiner donne à l’institution sociale un sens très large en distinguant les institutions primaires et secondaires. Les institutions primaires sont fondamentales, premières historiquement données à l’individu à la naissance (structures familiales, modes d’éducation) ; de ce fait, elles servent de base à l’édification de la personnalité. Les institutions primaires favorisent l’apparition chez tous les membres du groupe, de traits psychologiques identiques (c’est-à-dire d’une « personnalité de base »). Alors que les institutions secondaires sont le résultat de la projection dans l’imaginaire collectif des désirs, des angoisses et des frustrations, crées par le processus éducatif sur l’individu ; ce sont les systèmes religieux, conceptions morales, les tabous, le folklore, l’idéologie … Chaque individu s’adapte dans une société donnée, à la fois aux mêmes conditions du milieu et à une même organisation sociale, chacun y apporte son originalité propre. Kardiner oriente sa recherche vers l’étude de la structure du Moi commune aux individus d’une société, résultant de l’impact du primaire et l’origine des institutions secondaires. Il met l’accent sur la continuité de la personnalité dans son développement.

R. Linton développa le concept de culture comme héritage social : « … Une culture est la configuration des comportements appris et de leurs résultats, dont les éléments composants sont partagés et transmis, par les membres d’une société donnée » (cf. Le fondement culturel de la personnalité, Dunod, 1968). En étudiant les changements culturels, l’acculturation, il a précisé les fondements culturels de la personnalité et a apporté une contribution fondatrice à la théorie des rôles. Il va distinguer les statuts donnés et acquis, les statuts actuels et latents, les attentes de rôles. Ce qui retient l’attention de Linton, c’est la situation charnière des notions de statut et de rôle entre l’individu et la culture.

M. Mead a aussi étudié l’impact culturel sur l’individu. Comme R. Benedict, elle s’intéressa à la question qui se situe à la frontière entre l’ethnologie et la psychologie : par quels processus l’éducation transmet-elle aux individus (principalement pendant l’enfance) les modèles caractéristiques d’une culture, et comment façonne-t-elle des personnalités adaptées à l’environnement social ? Elle cherchait à relier certaines caractéristiques psychologiques des acteurs sociaux aux contextes culturels particuliers dans lesquels ils évoluent. Etant intéressée aux processus de transmission culturelle et à la socialisation de la personnalité, Mead refuse l’hypothèse de l’universalité de la crise d’adolescence d’après son ouvrage « Comming of age in Samoa ».

Le culturalisme a joué un rôle important dans la création de l’école « culture et personnalité ». Sur le plan idéologique, les idées du relativisme culturel ont apporté une contribution décisive à la lutte contre les préjugés racistes, ethnocentristes et sexistes. Sur le plan théorique, le culturalisme a permis d’établir les rapports entre les sciences psychologiques et les sciences sociales. La prise en compte de la réalité culturelle dans les destins individuels est un des apports du culturalisme. Grâce à ce courant, on reconnait le rôle positif de la société à travers la culture sur la personnalité individuelle. Grâce aux conceptions culturalistes, les disciplines comme : l’anthropologie psychanalytique, l’ethnopsychiatrie et l’anthropologie cognitive font partie de l’héritage de ce courant de pensée. Aujourd’hui, l’approche culturaliste est une façon de raisonner sur la culture envisagée comme un « tout complexe ». En psychologie, d’après Krewer et Dasen (1993), ce courant continue les traditions de la recherche anthropologiques. Selon ces deux auteurs, la psychologie culturaliste se définit par le postulat d’une interpénétration incontournable et inséparable de l’organisation psychique individuelle et des structures socioculturelles142. Autrement dit, elle étudie le rôle des facteurs culturels dans le développement de la personnalité (surtout à travers l’évolution de l’enfant et de l’adolescent) et leur influence sur les diverses facettes de l’équipement psychique de l’homme. Après avoir présenté l’information de base sur la culture, nous voulons maintenant analyser ses relations avec le psychisme et la psychologie de façon plus développée.

Notes
139.

M.- O. Géraud, O. Leservoisier, R. Pottier (2006) Les notions clés de l’ethnologie, Paris, A. Colin, p. 142.

140.

S. Clapier- Valladon (1986) Les théories de la personnalité, Paris, PUF, p. 12.

141.

S. Clapier- Valladon (1986) Les théories de la personnalité, Paris, PUF, p. 13.

142.

Z. Guerraoui, B. Troadec (2000) Psychologie interculturelle, Paris, A. Colin, p. 20.