4.2.1.Psychologie interculturelle

La psychologie interculturelle étudie les processus psychologiques dans leur contexte culturel. Elle englobe ce que Berry (1994) appelle psychologie culturelle, soit l’étude des liens entre appartenance à une culture nationale, d’une part, et variables psychologiques, d’autre part ; elle inclut aussi ce qu’il appelle psychologie ethnique, c’est-à-dire l’étude des relations entre variables psychologiques et appartenance à un groupe ethnoculturel particulier au sein d’une nation qui en comprend plusieurs, de même que l’analyse de la nature et des effets des rapports entre ces groupes146 (C. Charbonneau, 1998). Elle permet de prendre du recul par rapport à une psychologie ethnocentrique, élaborée uniquement dans un contexte occidental. J. Berry et coll. (1997) définissent la psychologie interculturelle (cross-cultural psychology) comme « l’étude systématique des relations entre les contextes culturels du développement humain et les comportements qui s’actualisent progressivement dans le répertoire d’individus se développant dans une culture particulière. Le champ est divers : certains psychologues travaillent beaucoup dans une seule culture (psychologie culturelle), certains comparent plusieurs cultures (psychologie (inter)culturelle comparative) et certains travaillent avec des groupes ethniques à l’intérieur de sociétés multiculturelles (psychologie interculturelle) ; tous ambitionnent de fournir une compréhension des relations culture-comportement 147 ».

D’après F. Couchard (1999), la psychologie interculturelle repose sur la capacité d’identification et de contre-identification à un autre, si semblable et si étranger à la fois. Elle s'intéresse à la résolution des difficultés surgissant dans le contact culturel. La psychologie interculturelle étudie la gestion et la signification de la différence culturelle, c'est-à-dire comment donner du sens à la différence culturelle et comment la gérer. Elle s'intéresse plus particulièrement à la production de compromis culturels (interculturalité) dans des situations de relations interculturelles positives (mise en place de fonctionnements innovants) et négatives (tensions, conflits...) (P. Denoux, 2000).

Nous allons analyser trois approches essentielles de la psychologie interculturelle : l’approche culturelle, l’approche transculturelle et celle des contacts de cultures.

La psychologie culturelle s'interroge sur les rapports entre la construction du sujet et la culture. Elle montre que l'identité de chacun dépend de son environnement social, mais aussi de la position qu'il se donne dans une société aux références culturelles multiples (G. Vinsonneau, 1999). Cette approche (Boesch, 1995 ; Krewer, 1993) correspond à une prise de position relativiste qui exclut ou cherche à éviter les comparaisons. L’approche culturelle porte l’attention sur la variabilité des comportements, des fonctionnements, des développements et des dysfonctionnements psychologiques, qui seraient imputables à la différence des cultures. Après le recueil de données psychographiques, elle s’attache à confronter, comparer ces données pour lier et délier culture, conduites, fonctionnements et processus psychiques 148(G. Vermès, 1989).

En ce qui concerne la psychologie transculturelle, cette approche, d’après Z. Guerraoui et B. Troadec (2000), est une amplification méthodologique de la psychologie « générale ». H. Stork (1986) pense que la psychologie transculturelle s’est développée aux Etats-Unis sous le nom de Cross-cultural psychology après avoir pris naissance du courant américain Culture and personality. L’expression transculturelle apparaît dès lors comme la traduction littérale du cross-cultural anglo-saxon. Ainsi, pour H. Stork, le terme interculturel est équivalent à celui de transculturel puisqu’il implique la même idée de comparaison entre les cultures, mais il a souvent été utilisé pour définir les relations entre les cultures au sein d’une population d’accueil (études sur les migrants, phénomènes d’acculturation, par exemple), ce qui lui confère un type particulier de connotation dans l’esprit de certains149. La recherche en psychologie transculturelle sous-entend un travail sur le terrain précédé d’une connaissance approfondie de la langue, de l’histoire et des coutumes de la société étudiée. Comme écrit H. Stork, l’intérêt de la psychologie transculturelle réside en partie dans le fait qu’elle permet de combiner harmonieusement la méthode clinique – au sens du recueil systématisé de données verbales et visuelles – et la méthode expérimentale – au sens d’une recherche de la preuve permettant de confirmer ou d’infirmer une hypothèse150.

Selon Krewer et Dasen (1993), la psychologie transculturelle utilise la comparaison des cultures comme une variable et vise à explorer, dans une sorte de laboratoire mondial, les différences et les similitudes du psychisme. Les auteurs distinguent deux objectifs principaux de cette approche151 :

  • vérifier la validité universelle des théories élaborées pour l’essentiel dans le monde occidental (l’idée d’un monde objectif indépendant) ;
  • découvrir les lois causales et universelles du fonctionnement psychologique (c’est-à-dire la réalité psychique « objective »).

Pour atteindre ces buts, il est essentiel de traiter certains éléments culturels comme des variables sans avoir besoin de cerner la structure globale d’une culture. A la différence de l’approche culturelle, la psychologie transculturelle effectue des comparaisons systématiques dans plusieurs contextes culturels, afin de parvenir aux relations invariantes. On utilise des épreuves standardisées pour procéder aux comparaisons entre les cultures et leurs différences sont analysées quantitativement.

Quant à l’étude des contacts de cultures, elle fait la comparaison entre différents contextes culturels pour démontrer en quoi les processus psychologiques mis en œuvre sont universels ou sont, au contraire, liés à des contextes (sociaux, économiques, politiques) particuliers (Dasen, 2001 ; Dasen et Ogay, 2000).Les psychologues praticiens du domaine psychosocial et œuvrant auprès de réfugiés et d’immigrants, définissent cette approche comme « une approche d’exploration et de négociation où chaque culture en présence doit être examinée pour être appréciée dans sa légitimité et ses différences et pour orienter le changement dans une perspective d’aide à l’adaptation » (Chiasson-Lavoie, 1992)152. Les problématiques, auxquelles s’intéresse l’approche interculturelle, portent essentiellement sur la compréhension du sujet psychologique confronté à une pluralité de systèmes culturels (Z. Guerraoui, 2000). A la différence des autres approches, l’approche des contacts des cultures « n’est ni d’identifier autrui en l’enfermant dans un réseau de significations (approche culturaliste), ni d’établir une série de comparaisons sur la base d’une échelle ethnocentrée (approche transculturelle) » (M. Abdallah-Pretceille, 1985). Son objet est de proposer un schéma d’analyse pour cerner l’ensemble des processus (psychiques, relationnels, groupaux, institutionnels) générés par les contacts de cultures ethniques, nationales, régionales, générationnelles, de genre etc. (Hofstede, 1994), afin de répondre, comme le souligne Denoux (1995), à une double question : comment admettre pour soi et comment gérer les effets engendrés par la différence culturelle ?

Pour conclure, nous citons encore P. Dasen (2001),153 qui affirme que la recherche interculturelle porte « soit dans la comparaison entre différentes cultures (l'étude comparative de phénomènes culturels), soit dans l'interaction entre les cultures (étude sur les processus d'interaction entre individus ou groupes relevant de différents enracinements culturels) ». Enfin, il est nécessaire, pour le chercheur dans tout le travail interculturel, d’avoir l’attitude décentrée qui sous-entend d’abandonner la tendance de se croire au centre du monde et d’ériger en normes universelles les règles ou les habitudes de sa propre conduite ou celles de la culture à laquelle il appartient. Cette attitude décentrée est indispensable pour comprendre et accepter l’autre dans sa différence ; elle permet de sortir à la fois de l’ethnocentrisme et des préoccupations normatives (H. Stork, 1986).

Notes
146.

C. Charbonneau (1998) La psychologie interculturelle, http://www.rqpsy.qc.ca/ARTICLE/V19/19_3_065.pdf

147.

Z. Guerraoui, B. Troadec (2000) Psychologie interculturelle, Paris, A. Colin, p. 8.

148.

G. Jahoda (1989) Psychologie & anthropologie, Paris, A. Colin, p. 12.

149.

H. Stork (1986) Enfances indiennes. Etude de psychologie transculturelle et comparée du jeune enfant, Paris, Bayard éditions, p. 62.

150.

H. Stork (1986), p. 63.

151.

Z. Guerraoui, B. Troadec (2000) Psychologie interculturelle, Paris, A. Colin, p. 23.

152.

G. Roy Le modèle de l’approche interculturelle, p. 141 in G. Legault (2000) L’intervention interculturelle, Montréal, Ed. G. Morin.

153.

P. Dasen La méthode comparative : un luxe anglophone ? Colloque Construction transfrontalière du champ interculturel, 30/04/2001.