4.3.Le concept d’acculturation

Le terme acculturation a été proposé en premier par des anthropologues nord-américaines. Les Anglais lui préfèrent celui de cultural change (moins chargé de valeurs ethnocentriques liées à la colonisation), les Espagnols celui transculturation (F. Ortiz), et les Français l’expression d’interpénétration des civilisations.161. Pour les anthropologues culturels, l’acculturation est « l’ensemble des phénomènes qui résultent du contact direct et continu entre des groupes d’individus de cultures différentes avec des changements subséquents dans les types culturels originaux de l’un ou des autres groupes » (Herskovits, 1938). Popularisé par l’école culturaliste, l’acculturation désigne aussi, les mécanismes d’apprentissage et de socialisation, l’intégration d’un individu à un environnement qui lui est étranger. L’anthropologue S. Abou (1986) dégage trois modalités principales d’acculturation : (1) l’acculturation spontanée (lorsque les contacts entre cultures ne sont pas permanents, comme par exemple à l’occasion d’échanges commerciaux), (2) l’acculturation obligée (lorsque des sujets s’installent dans un pays tiers et sont obligés d’adopter une partie au moins des éléments de la culture locale), et enfin, (3) l’acculturation forcée (lorsqu’un pays occupe le territoire d’un autre et lui impose sa culture, comme dans les cas de colonisation).

G. Vinsonneau (1997) définit l’acculturation comme « un processus de réagencement des éléments culturels initialement véhiculés par un acteur social issu d’un univers culturel donné, lorsqu’il se confronte à un ou plusieurs autres univers, distinct(s) du précédent : qu’il s’agisse de la rencontre avec un (des) groupe(s) culturel(s) étrangers ou de l’émergence d’une transformation de sa propre culture, sous l’effet d’une rupture et/ou d’un changement social brutal » 162 . D’après la psycho-anthropologue H. E. Stork (1999), l’acculturation implique un processus de « réinterprétation » par lequel le sujet accepte une pratique appartenant à une autre culture de manière à l’intégrer à son propre système de valeurs ; mais l’acculturation implique aussi l’élimination de certains éléments ou leur réorganisation. Une pathologie de l’acculturation s’exprime par des effets désorganisateurs sur le comportement de coexistence, de deux codes de conduite parfois contradictoires, avec pour conséquences psychologiques chez l’individu un sentiment d’insécurité, une perte de l’estime de soi et des manifestations anxieuses163.

H. E. Stork a décrit trois stades d’acculturation chez les familles immigrées :

En analysant les définitions données par les anthropologues et les psychologues à l’acculturation, nous signalons que ce terme a deux sens différents. En psychologie sociale, le terme d’acculturation désigne le processus d’apprentissage par lequel l’enfant reçoit la culture du milieu auquel il appartient. L’acculturation psychologique concerne le processus qui rend compte des changements vécus par les individus dont le groupe culturel est collectivement en voie de s’acculturer (Graves, 1967). On utilise aussi, en ce sens, le mot d’enculturation. Dans un second sens, le mot d’acculturation a été utilisé en anthropologie culturelle pour désigner les phénomènes de contacts et d’interpénétration entre civilisations différentes. Ce concept a été élaboré pour étudier les phénomènes qui résultent de la rencontre entre des groupes porteurs de deux cultures différentes etles changements, issus de cette rencontre. Cette interrelation permet d’expliquer certains problèmes sociaux et leur résolution. La dimension psychologique est donc importante dans la perspective culturaliste : « Les rythmes de l’acculturation varieraient selon les niveaux de la culture. Le transfert serait plus rapide au niveau de la culture matérielle et plus lent dans le domaine symbolique : au niveau intermédiaire se situeraient les changements dans les relations sociales […]. Ces rythmes varieraient aussi en fonction de la distance culturelle entre groupes. […] Plus leur distance par rapport à la société d’accueil est grande, plus son subsystème racial et ethnique sera fort et plus le processus d’acculturation sera long et pénible » (C. Bolzman, 1996).Comme remarque J. – P. Tabin (1999), il n’y a jamais d’adaptation totale, même si les modalités individuelles sont extrêmement variées, en fonction de la date et des conditions de la migration, de la culture et de la spécificité de l’aire de départ et de la région d’accueil, du milieu social et du niveau de scolarisation, etc.164 D. Schnapper (1994) dit aussi qu’il reste toujours aux étrangers ce qu’elle appelle un « noyau dur » de leur culture d’origine.

Notes
161.

Encyclopaedia Universalis (1985), Paris, article « acculturation », p. 104.

162.

G. Vinsonneau (1997) Culture et comportement, Paris, A. Colin, p. 177.

163.

H. E. Stork (1999) L’introduction à la psychologie anthropologique, Paris, A. Colin, p. 193.

164.

J. – P. Tabin (1999) Les paradoxes de l’intégration. Essai sur le rôle de la non-intégration des étrangers pour l’intégration de la société nationale, Lausanne, Ed. EESP, p. 54-55.