Le concept d’interculturation apparaît pour la première fois dans un article de G. Mbodj (1982). Il définit l’interculturation comme « l’équilibre dynamique entre enculturation et acculturation. Ce serait un processus en perpétuel devenir par lequel l’enculturation, l’acculturation ainsi que les effets résultants de leurs actions dialectiques se trouvent placés dans une situation adaptée ». L’auteur établit entre les trois termes, une analogie structurelle avec la « triade » piagétienne :
Dans cette structure, l’adaptation constitue elle-même une dynamique contradictoire. Grâce à deux processus : l’accommodation et l’assimilation, elle doit permettre une ouverture sur l’environnement et une réceptivité à sa réalité. Ainsi, l’accommodation et l’assimilation ne sont pas séparables : elles travaillent ensemble à équilibrer la relation moi-monde (J. Demorgon, 1999).
Quant à l’interculturation, ce processus résulterait alors, selon Mbodj, des actions dialectiques « enculturation/acculturation ». Dasen (1993) définit l’enculturation, en tant que processus par lequel on s’approprie au cours d’une vie humaine, tout ce qui est disponible dans le milieu écologique, social, et culturel. L’enculturation est par conséquent en relation avec l’apprentissage conscient et inconscient (cité par A. Amin, 2007). Les auteurs anglophones distinguent une enculturation formelle (socialization) et informelle (enculturation). L’enculturation formelle ou socialisation est un processus d’enculturation délibérée ou volontaire, telle celle qui se réalise à l’école lors des apprentissages systématisés ou formels. L’enculturation informelle définit une enculturation non délibérée, involontaire, qui se réalise dans la rue, ou pour partie, à la maison (Z. Guerraoui, B. Troadec, 2000).
Clanet (1990) se démarque de la définition de G. Mbodj. Pour lui, l’interculturation n’est pas seulement une résultante des relations acculturation/enculturation. Elle est avant tout un ensemble de faits nouveaux qui combinent l’enculturation et l’acculturation dans une situation particulière où deux cultures interagissent dans une perspective de coexistence. En effet, pour Clanet, l’interculturation recouvre « l’ensemble des processus – psychiques, relationnels, groupaux et institutionnels – par lesquels les sujets et les groupes interagissent lorsqu’ils appartiennent à deux ou plusieurs ensembles se réclamant de cultures différentes ou pouvant être référés à des cultures distinctes ». Les processus interculturatifs sont définis par Clanet (1990) comme paradoxaux dans la mesure où l’on trouve fermeture et ouverture, transformation et maintien des systèmes en présence. En effet, le concept « interculturel » porte un caractère ambivalent puisque le préfix inter renvoie aussi bien à la liaison, la réciprocité, l’échange qu’à la séparation, la disjonction. Dans la rencontre interculturelle s’opère un double mouvement : la transformation des systèmes en présence du fait de leurs interactions et du maintien de ces derniers et du fait du désir de chacun de préserver son identité (Z. Guerraoui, B. Troadec, 2000). On passe ainsi d’une sorte d’interculturel interne, vécu en nous-mêmes, à l’interculturel externe en interaction avec l’autre. Tel est le cœur fondamental de toute relation interculturelle (Demorgon, 1999)169.
Ainsi, pour Clanet, le concept d’acculturation proposé par Mbodj, n’est pas synonymique à celui d’interculturation pour plusieurs raisons. D’abord parce que le mot acculturation est difficilement dissociable du champ de l’anthropologie culturelle pour être utilisé dans un autre champ des Sciences Humaines. Ce mot est incontestablement marqué par les idéologies et les conceptions asymétriques des relations entre cultures du début du siècle : la culture dominante était considérée comme modèle à adopter par une culture dominée qui accepte ou non de s’y conformer. Autrement dit, le terme acculturation étant trop lié à l’ancien colonialisme, est marqué par l’ethnocentrisme des chercheurs occidentaux qui privilégient dans leurs travaux les indicateurs tendant à mesurer le degré d’assimilation des groupes minoritaires à leur culture, seule jugée bénéfique. Enfin, la notion d’acculturation est liée, selon Ouadahi (1989), à la diachronie - une culture se présente dans un temps second par rapport à une autre culture qui est dans ce cas première. Ce concept ne peut donc être appliqué qu’à des individus ayant quitté leur pays d’origine où ils ont acquis la culture de leur groupe ethnique (Amin, 2007). Tandis que la notion d’interculturation est liée à la synchronie – lorsque le sujet se structure dans une double référence symbolique hétérogène et irréductible à un seul des deux pôles culturels170.
A la différence du concept d’acculturation de Mbodj, le concept d’interculturation de Clanet s’appuie sur la nature paradoxale de la dynamique interculturelle. Le processus d’interculturation renvoie donc à l’intégration d’une pluralité de références culturelles qui vont se combiner, interagir les unes avec les autres, et qui ne peuvent pas être réductibles aux différents pôles culturels présents. Dans la situation d’interculturation, trois processus s’articulent : l’assimilation par chaque groupe de certaines valeurs de l’autre ; la différenciation par la revendication de certaines spécificités ; la synthèse originale avec création de nouvelles réalités englobantes (Z. Guerraoui, B. Troadec, 2000).
J. Demorgon Un modèle global dynamique des cultures et de l’interculturel in J. Demorgon, E. M. Lipiansky (1999) Guide de l’interculturel en formation, Retz, p. 85.
C. Clanet (1990) L’interculturel. Introduction aux approches interculturelles en Education et en Sciences Humaines, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, p. 71.