Dans l’ancienne littérature européenne on peut trouver souvent la confusion du nom Kirghiz désignant les Kazakhs. Cette grande confusion a longtemps régné dans l’esprit des Européens (Russes compris), à propos des Kazakhs et des Kirghiz, baptisés le cas échéant Kirghiz-Kazakhs ou Kazakhs-Kirghiz. Au début des années 20 du XXe siècle, les Kazakhs ont obtenu une République soviétique socialiste autonome officiellement dénommées « kirghiz » et non kazakhe, tandis que les Kirghiz ont eu droit à une région autonome, dite des Kara-Kirghiz (Kirghiz « noirs »). La terminologie ne fut définitivement clarifiée qu’en 1925. Les Kazakhs, pour leur part, ne s’étaient jamais désignés eux-mêmes sous un autre nom195. La divergence dans l’ethnonyme du mot Kirghiz chez les Kazakhs et les Européens a aussi été remarquée par F. De Rocca (1896) : « « Le type du Kirghiz est fort mélangé d’éléments turc, mongol et, quelquefois, même aryen. Quoiqu’il y ait une dose considérable de sang mongol dans leurs veines, à en juger par les traits caractéristiques du visage, toutefois il y a une sensible différence entre le véritable Mongol, comme le Kalmouk ou le Chinois, et le Kirghiz… L es Kirghiz eux-mêmes ne se nomme pas Kirghiz, mais Ouzbeg ou Kazak » 196 . « Les Kirghiz des steppes, tout en reconnaissant l’origine ouzbeg des Kara-Kirghiz, les considèrent comme un peuple tout à fait distinct et comme issus des Kalmouks et même des chiens »197 . F. De Roccaprécise que les nomades qui habitent dans la région d’Altaï et du Pamir appartiennent à la race des Kirghiz montagnards et portent le nom de Kara-Kirghiz198. Alors que les Kirghiz (Kazakhs) occupent une étendue immense de pays depuis la Sibérie jusqu’à l’Oxus, depuis la Volga inférieure jusqu’au Gobi, presque toute la contrée connue sous le nom de Dacjti-i-Kiptchak, habitée autrefois par les hordes turco-mongoles.
Les Kara-Kirghiz expliquent leur origine d’une manière différente. Voici comment raconte leur histoire F. De Rocca : Le nom de Kara-Kirghiz n’est employé que par les Russes et les autres voisins. Eux-mêmes s’appellent simplement Kirghiz. Ce mot signifie, d’après leur étymologie, quarante filles, kir-kiz. Leur fondateur légendaire avait une fille qu’il confia à la garde de quarante servantes. Celles-ci, étant allées se baigner avec leur maîtresse, aperçurent sur la rivière de l’écume et entendirent une voix qui sortait de l’eau disant : « Et ceci est la vérité, et cela est la vérité ! Ana-elhak, mana-elhak! » Elles mirent le doigt dans l’écume et aussitôt toutes les quarante furent enceintes. On les ramena sur une haute montagne, où elles enfantèrent quarante fils et quarante filles. Ces enfants se marièrent entre eux et il en sorti le peuple des quarante filles 199 .
Les Kazakhs et les Kirghiz se distinguent aussi physiquement : F. De Rocca écrit que « la différence entre Kara-Kirghiz et nomades du Turkestan saute aux yeux. Quand on voit ces larges faces, aux pommettes saillantes, ces visages jaunes et bruns, avec des yeux fendus, un nez large, aplati, on devine d’où leur vient le nom Kirghiz noir. L’obésité et l’embonpoint sont fréquents chez eux, malgré leur vie fort mouvementée.
Le Kara-Kirghiz a le type mongol plus prononcé que le Kirghiz (Kazakh, J.A.) des steppes. Il est plus brave et plus indépendant que celui-ci. Il descend probablement des Mongols conquérants, et se mêle moins que le Kirghiz-Kazak avec les peuplades turques vaincues, grâce sans doute à l’isolement dans lequel il vit au milieu des montagnes de l’Altaï et du Freghanah 200 ».
A. Sellier&J. Sellier (2002) Atlas des peuples d’Orient, Paris, La découverte, p. 157.
F. De Rocca (1896) De l’Altaï à l’Amou-Daria, Paris, Ed. Paul Ollendorff, p. 181.
F. De Rocca (1896), p. 182.
F. De Rocca (1896), p. 174.
F. De Rocca (1896), p. 186-187.
F. De Rocca (1896), p. 183.