La prédominance de la steppe sur le territoire du pays a marqué d’une manière très forte le mode de vie et la culture kazakhe. Bien que la frontière orientale soit composée du nord au sud des larges massifs montagneux, les Kazakhs restent avant tout un peuple de la steppe. Dans son livre A travers l’Asie Centrale, l’explorateur occidental H. Moser (1885) a remarqué l’importance du milieu steppique dans le mode de vie des Kazakhs: « Le Kirghiz, qui s’appelle lui-même « kazak » (vagabond), est nomade par excellence […] Cet enfant de la nature ne se sent véritablement heureux qu’au milieu de la steppe sans bornes, où rien n’arrête le regard ; les forêts lui inspirent une frayeur indicible 202 ». La vie dans la steppe avait conduit les nomades à construire un rapport particulier à la nature, à l’univers, qui reposait sur la conscience d’être une partie de ce tout. Chez les Kazakhs, ce mode de vie se réalisait dans un espace de nomadisation bien défini. Il comprenait les pâturages d’hiver et d’été, qystau et jaïlau, mais aussi les voies à emprunter pour aller de l’un à l’autre, les sources, les lieux sacrés…Un territoire balisé par des repères à l’image de la steppe.
‘« Le Kirghiz est enfant de la nature, un produit du steppe, comme le lézard dont il a souvent la paresse, la tortue dont il emprunte les mouvements circonspects, si ce n’est de la gazelle dont il sait prendre la rapidité et l’agilité. Le cheval est son ami ; la course d’aoul en aoul, aux aguets de nouvelles, son plaisir et la garde des troupeaux, son occupation ; la musique d’un barde et les récits colorés d’un voyageur indigène, sa passion. Probe, fidèle, sympathique, il nous a paru le meilleur produit indigène du sol asiatique et un des plus dignes représentants de la race turque 203 » (G. Capus, 1892, p. 36). ’Comme l’écrit W. Dressler (1999), « l’essence de l’identité » kazakhe est « … dépeinte comme ancrée dans le passé nomade kazakh d’où sont tirés les héros et la culture de ce mode de vie. En conséquence, il y a relativement peu de signes qui soulignent l’intégration de l’identité kazakhe à l’Asie centrale ou à l’islam » 204. Ainsi, l’identité kazakhe est intrinsèquement liée à la culture nomade en milieu steppique, même si de nos jours, comme le souligne J. Radvanyi (2003), ce mode de vie est devenu marginal205.
H. Moser (1885) A travers l’Asie Centrale. La steppe kirghize-le Turkestan russe-Boukhara-Khiva-Le pays des Turcomans et la Perse. Impressions de voyage, Paris, Librairie Plon, p. 19.
G. Capus (1892) A travers le Royaume de Tamerlan. Voyage dans la Sibérie occidentale, le Turkestan, la Boukharie, aux bords de l’Amou-Daria, à Khiva et dans l’Oust-Ourt, Paris, A. Hennuyer, p. 36.
W. Dressler (1999) Le second printemps des nations. Sur les ruines d’un Empire, questions nationales et minoritaires en Pologne (Haute Silésie, Biélorussie polonaise), Estonie, Moldavie, Kazakhstan, Bruxelles, E. Bruylant, p. 312.
J. Radvanyi (2003) Les Etats postsoviétiques. Identités en construction, transformations politiques, trajectoires économiques. Paris, Arman Colin, p.167.