5.2.4.1.La division administrative tsariste de la Steppe

La présence russe au Kazakhstan se renforça avec la création de ligne de forts cosaques tout le long de la frontière nord de la steppe. Cette ligne, qui marque aujourd’hui, une partie de la frontière entre la Russie et le Kazakhstan, servait pour contrôler les Kazakhs à partir de la ville d’Orenbourg. Elle permettait aussi bien de prévenir les incursions des nomades kazakhs que de servir de base à une conquête future. Depuis 1867, le gouvernement russe a divisé les hordes kazakhes en unités administratives distinctes et a remplacé les chefs héréditaires par des fonctionnaires élus, tels que starchinas et starostes (aksakals). La division administrative des terres kazakhes par la Russie suivit la conquête de l’Asie centrale et la constitution des gouvernorats militaires. Elle signifia la séparation des Kazakhs entre le gouvernorat de la steppe, comprenant le nord et le gouvernorat du Turkestan, incluant le sud ainsi que le khanat de Kokand et la région de Samarkand. Son objectif était d’assimiler les Kazakhs avec les autres peuples de l’empire. L’autonomie tribale fût préservée dans la steppe, bien que l’institution des Khans ait été supprimée206. Tous ces nouveaux principes du nouveau règlement administratif, comme remarque F. De Rocca, « ont ébranlé les bases morales sur lesquelles reposait jadis la vie sociale des nomades. Les élections ont apporté la corruption, l’immoralité, l’esprit d’intrigue et de rébellion. Tous les freins qui retenaient l’homme, l’obéissance et le respect aux membres aînés de la tribu, aux parents, la crainte de la justice, les devoirs religieux, se sont sensiblement relâchés et ont délié les mains aux plus hardis et aux plus rapaces. C’est d’ailleurs le premier degré de la vie sauvage et nomade à la vie civile 207 », conclut-il.

Cependant, le début d’une véritable pression administrative commença bien avant, par l’oukaz impérial de 1756 qui interdisait aux Kazakhs de nomadiser sur la rive droite du fleuve Yaïk (Oural). En 1764, il devint illégal pour les Kazakhs de franchir le fleuve Irtich en Sibérie méridionale. Les tribus nomades qui avaient la jouissance de lieux de pâturages traditionnels lors des transhumances saisonnières se trouvèrent de plus en plus confrontées à des villages russes ou cosaques installés sur « leur terres » de parcours208. La colonisation s’accompagna de la confiscation des terres kazakhes ce qui entraîna la paupérisation du peuple kazakh. Une large partie de la population se retrouva sans bétails et sans terres. En 1821, le Tsar donna un statut juridique à toutes les populations non-russes des confins asiatiques de son Empire, qui furent appelées jusqu’à la révolution de 1917 des « sujets allogènes ».

De 1900 à 1917, les réformes de Stolypine en faveur de la colonisation agricole de la Sibérie et les autorisations d’émigrer quelle que soit l’appartenance nationale font affluer Russes et Slaves, mais aussi des Allemands, dans la région. Entre 1897 et 1916, plus d’un million de personnes s’installent dans les steppes kazakhes. Les Russes représentent alors 57% de la population dans les régions du Nord et de l’Est et commencent à peupler les espaces méridionaux du monde kazakh : ils sont environ 118 000 au Semiretchie, 107 000 dans la région du Syr-Daria, et constituent 10% de la population du Turkestan, ouvert plus tardivement à la colonisation paysanne209.

La politique coloniale russe ne se fit pas sans heurts. Les révoltes kazakhes contre la présence russe (300 au total selon des sources d’historiens) témoignent du caractère violent de la colonisation de l’empire. Elles servent d’un bon exemple de la volonté des Kazakhs pour chercher par tous les moyens de se libérer de l’emprise russe. Ainsi, depuis le rattachement à la Russie, les Kazakhs ont subi une marginalisation de leur ethnicité censée être « inférieure », barbare, par rapport à l’Europe et aux Empires sédentaires, ce qui permettait aux Russes de compenser par leur « mission civilisatrice » en Asie Centrale leur sentiment d’infériorité face aux Européens210.

Notes
206.

X. Hallez, S. et A. Raïmbergenov(2002) Le chant des steppes. Musique et chant du Kazakhstan., Paris, Ed. du Layeur, p.8.

207.

F. De Rocca (1896) De l’Altaï à l’Amou-Daria, Paris, Ed. Paul Ollendorff, p. 185.

208.

C. Poujol (2000) Le Kazakhstan, Paris, PUF, p. 42.

209.

M. Laruelle, S. Peyrousse (2004) Les Russes du Kazakhstan. Identités nationales et nouveaux Etats dans l’espace post-soviétique, Paris, Maisonneuve & Larose/IFEAC, p. 25.

210.

F. Vielmini Références eurasiennes au Kazakhstan contemporain, p. 114.