L’histoire tragique de l’Union Soviétique des années trente n’épargna pas le Kazakhstan. La collectivisation et la sédentarisation forcées provoquèrent la forte diminution de la population. Selon l’estimation de certains auteurs (G. V. Kan, 1998), avec les décès et l’émigration, plus de 50 pourcent des nomades kazakhs ont disparu. En fait, la collectivisation a eu pour premier effet de mettre fin à toutes les formes du nomadisme ou de semi-nomadisme et de fixer les communautés rurales à la terre, tout en limitant les possibilités d’exode rural. Elle suivit le décret d’août 1928 sur la confiscation de la propriété appartenant aux riches propriétaires fonciers (Bay) et se poursuivit jusqu’en 1932. La terre familiale et le bétail furent confisqués, souvent par la force, et la population s’installa dans des fermes collectives nouvellement crées (kolkhozes). Les conséquences de cette ethnocide est la famine, qui fut le résultat de la destruction consciente et organisée de l’économie paysanne et qui prit des proportions inimaginables. A la fin des années 1920, la population du Kazakhstan était estimée à environ 6 500 000 dont 3 800 000 (57% environ) étaient des Kazakhs, dans leur immense majorité des éleveurs menant un mode de vie nomade ou semi-nomade. Ce sont précisément ces éleveurs kazakhs qui furent les plus massivement frappés par la famine et les épidémies215. Le bilan de cette famine en fin de décennie était le suivant : le nombre de victimes s’éleva à 2,1 millions. Un million de Kazakhs, fuyant la faim et la répression, émigrèrent : 616 000 ne revinrent pas216. Entre 1 100 000 et 1 400 000 individus étaient morts de famine ou d’épidémies217. Cette période est connue sous le nom de génocide de Goloschekin 218 . Certains auteurs kazakhs et étrangers contemporains (H. Carrère d’Encausse, 1990) n’hésitent pas à parler de génocide du peuple kazakh219.
N. Werth La famine au Kazakhstan 1931-1933, revue Communisme, n°74/75- 2003, p. 9.
G. V. Kan (1998) Histoire du Kazakhstan, Almaty, Ed. Kazintergraf, p. 91.
N. Werth, ibid.
Filip Goloschekin (1876-1941), secrétaire du Comité régional du parti du Kazakhstan, entre 1925 et 1933, le principal exécutant de la ligne stalinienne au Kazakhstan. En octobre 1939, il fut arrêté sur ordre de Beria comme « espion trotskiste » et exécuté.
H. Carrère d’Encausse (1990) La gloire des nations ou la fin de l’Empire soviétique, Paris, A. Fayard, p. 69.