5.2.5.2.Le Kazakhstan, terre d’accueil des ethnies déportées

Les années 30-40 du XXème siècleont été accompagnées par les déportations massives de populations, accusées d’avoir globalement collaboré avec les armées nazies. Au cours des années 1937-1944 plus de 3 200 000 individus furent déportés en Sibérie et en Asie Centrale, dont plus de 1 109 000 furent assignés à résidence au Kazakhstan. Dans la plupart des cas, ils ont été incriminés pour collaboration avec l’envahisseur allemand ou pour nationalisme panturc. En réalité, l’immense majorité d’entre eux fut déportée sur une base ethnique. Le Kazakhstan était l’un des territoires d’accueil important, où une personne sur cinq était « colon spécial »220. Les « colons spéciaux » étaient privés de leurs droits civiques et politiques, et attachés à leur nouveau lieu de résidence ; leurs possibilités de déplacement étaient strictement limitées. Dans le seul Kazakhstan sept camps furent créés. Le plus important fut celui de Karlag (le camp à régime spécial de Karaganda). Le camp d’Akmolinsk, Algir, était destiné aux femmes « traîtresses à la Patrie »221.

Voici les chiffres tragiques de cette politique stalinienne. Le 28 avril 1936, le Conseil des Commissaires du Peuple décide de déporter les Polonais des régions frontalières de l’Ukraine soviétique comme « éléments peu sûrs » ; ils seront 35 739 à prendre le chemin du Kazakhstan. Au total, 104 207 Polonais vont s’installer dans la république jusqu’en 1942.

En 1937, 1121 familles de Kurdes, d’Arméniens, d’Assyriens, de Turcs, et en 1938, 2000 familles d’Iraniens d’Azerbaïdjan et d’Arménie furent déportées au Kazakhstan.

En août 1937, sous prétexte de protéger la frontière d’Extrême-Orient des infiltrations de l’espionnage japonais, Staline décida de déporter tous les Coréens qui vivaient dans les régions voisines de la Corée et de la Chine. Au total, 36 000 familles coréennes (102 000 personnes) sont arrivées au Kazakhstan entre septembre – octobre 1937.

Puis un décret du Soviet suprême du 12 octobre 1943 ordonna le transfert des Karatchaïs, petit peuple turc, en Kirghizie et au Kazakhstan. La République autonome des Tcherkesses-Karatchaïs, au Nord-Ouest du Caucase, était restée en 1942 pendant six mois sous occupation allemande. Selon un rapport du NKVD, 68 938 Karatchaïs furent déportés au cours du mois de novembre, accusés de collaboration avec l’ennemi.

La République Autonome de Kalmoukie avait été occupée par les Allemands au début d’août 1942. Le 27 décembre, un décret du Présidium du Soviet suprême dissout la république. En 1944, tous les Kalmouks furent envoyés en Sibérie et au Kazakhstan.

Le 31 janvier 1944, le Comité d’Etat à la Défense décida le transfert des Tchétchènes et des Ingouches. Les armées allemandes avaient occupé une partie de leur république autonome d’août 1942 au janvier 1943 et tenté d’exploiter, sans grand succès, l’hostilité de la paysannerie tchétchène à la collectivisation forcée. Le 9 février 1944, chargés dans 180 trains, 478 479 Tchétchènes et Ingouches furent déportés au Kazakhstan (80%) et en Kirghizie (20%).

Le 5 mars 1944, le Comité d’Etat à la Défense décida de déporter les Balkars : 25 000 au Kazakhstan et 15 000 en Kirghizie.

Du 16 au 20 mai 1944, en conformité avec un arrêté du Comité d’Etat à la Défense, 200 000 Tatars de Crimée furent expulsés au Kazakhstan et en Ouzbékistan. Le 2 juin 1944, Staline ordonne de « compléter » l’expulsion des Tatars de Crimée par le transfert de 37 000 Bulgares, Grecs et Arméniens résidant en Crimée, « complices des Allemands ».

Un arrêté du 21 juillet 1944 ordonna la déportation de 86 000 Turcs- Meskhètes, Kurdes et Khemchiles des régions frontalières de la Géorgie : 40 000 furent envoyés au Kazakhstan. Au total, 507 000 personnes du Nord du Caucase furent transférées au Kazakhstan dans les années 1943-1944.

En outre, pendant la Seconde Guerre mondiale, la république du Kazakhstan, éloignée du front de l’Ouest, accueillit de nombreuses usines russes. Au 1er juillet 1943, 532 506 personnes furent évacuées des régions de l’Ouest de l’Union soviétique au Kazakhstan. Au total, plus de 1 640 000 personnes étaient déplacés durant les années 1936 – 1944. Parmi les peuples déportés, les Allemands étaient l’un des plus nombreux, ils constituaient 40% du chiffre total222.

Les déportations de populations entières se poursuivront même après la guerre. Après la mort de Joseph Staline, certains peuples retourneront dans leur pays d'origine (la plupart des Tchétchènes, par exemple) mais beaucoup resteront au Kazakhstan. Ces déplacements massifs de populations expliquent en partie la grande variété ethnique du Kazakhstan actuel. Ainsi, tout au long du XIXe siècle et avec une intensité plus forte au XXe siècle, la société kazakhe a vécu des transformations si profondes, qui toutes les bases de l’ancienne identité kazakhe ont été ébranlées.

Notes
220.

B. Alicheva-Himy (2005) Les Allemands des steppes. Histoire d’une minorité de l’Empire russe à la CEI, Berne,p. 134.

221.

G. V. Kan (1998) Histoire du Kazakhstan, Almaty, Ed. Kazintergraf, p. 93.

222.

B. Alicheva-Himy (2005) Les Allemands des steppes. Histoire d’une minorité de l’Empire russe à la CEI, Berne,p. 134-137.