Depuis 1994, lorsque le président Nazarbaev, dans son discours à Moscou, a proposé l’idée de la création de l’Union eurasienne sur le modèle de l’UE regroupant les pays d’Asie centrale et la Russie, le concept d’Eurasie est devenu populaire au Kazakhstan. Il s’agit d’une notion intégratrice qui met en avant une certaine communauté de destin entre les peuples de l’Eurasie intérieure (partie pensée comme partie médiane du continent, comme région socio-historique particulière qui se différencie de l’Eurasie maritime).Son histoire est celle d’un ensemble de peuples qui se sont développés sur le sol eurasien avec leurs attirances et rejets réciproques. Etant adepte du concept d’eurasisme au Kazakhstan, le président N. Nazarbaev soutient l’idée d’une république eurasienne, multiculturelle et multiconfessionnelle, ouverte et tolérante229.
Le programme de l’« intégration eurasiatique » a longtemps prévalu dans le discours officiel de la présidence. Au plan intérieur, le but principal de Nazarbaev était évidemment d’affaiblir la tension ethnique à travers des actions soulignant la volonté de coopération interethnique et interculturelle. L’autre objectif de sa politique eurasienne était de refonder culturellement et économiquement l’identité du pays« qui tienne compte de son héritage d’ouverture à l’autre et de diversité culturelle renforcée par la présence d’importantes minorités occidentales » (W. Dressler, ibid.). Selon l’idée de Nazarbaev, cette identité eurasienne, à échelle supranationale, doit intégrer tous les citoyens du Kazakhstan, indépendamment de leur origine ethnique, dont l’eurasisme avancé pourrait être le contenu tangible.Sur le plan extérieur, l’initiative du président a joui en effet d’une très grande couverture médiatique, le projet a été publié intégralement dans de nombreux quotidiens et une multitude d’articles et d’analyses lui ont été consacrés. Les réflexions sur l’eurasisme ont permis d’éviter l’isolement médiatique de la république230.
Nous avons présenté brièvement certains postulats du concept d’eurasisme qui détermine la stratégie de la politique nationale du Kazakhstan. Pour nous, le concept d’eurasisme présente un intérêt en tant que modèle national d’interculturalité car il signifie le syncrétisme de cultures turcique et slave et donc affirme « …une identité nationale turcique et musulmane jugée pleinement compatible avec l’héritage russe 231 ». En effet, pour les eurasistes kazakhs, le concept d’eurasisme ne signifie pas le rejet de la Russie : au contraire, il est possible d’affirmer l’identité kazakhe fière de sa « turcité » tout en éclairant, historiquement et culturellement, son interaction avec ce qu’a apporté la Russie (M. Laruelle, 2002, ibid.). Malgré la critique de certains ses aspects232, nous trouvons que le concept d’eurasisme kazakhe exprime bien l’idée de la consolidation nationale, en mettant en valeur la tolérance religieuse, ethnique et l’ouverture sur le monde.
W. DresslerCulture et identité eurasienne au Kazakhstan, mythe, imaginaire sociale ou réalité ? http://jmongnet.club.fr/Eurasie.htm
F. Vielmini (2000) Références eurasiennes au Kazakhstan contemporaine, Cahiers du Monde russe, 41/1, Janvier-mars 2000, pp. 109-134.
M. Laruelle Les ambiguïtés de l’idéologie eurasiste kazakhe. Ouverture sur le monde russe ou fermeture nationaliste ?, Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n°34, juillet-décembre 2002, p. 120.
Voir l’article entier de M. Laruelle, cité au-dessus, pp. 109-134.