L’indépendance a posé le problème d’identifications des individus au Kazakhstan. La disparition de l’identité « soviétique » les a fait chercher un autre modèle de construction identitaire. Actuellement, tous les Kazakhstanais sont citoyens d’une société où le modèle Etat-Nation se cherche encore. La consolidation du peuple du Kazakhstan dépend beaucoup de l'acceptation et du soutien de l'identité nationale. Depuis l’indépendance, cette question fait l’objet de nombreux débats dans ce pays. Le nouveau concept de kazakhstanais est destiné à forger l’identité étatique de la république du Kazakhstan. Il s’agit de la construction d’une identité commune pour tous les citoyens quelque soit leur origine ethnique. Ce concept met l’accent sur un programme de construction non-ethnique tout en insistant sur la place de la nation kazakhe dans cet Etat. Cependant, pour les groupes ethniques ayant une longue histoire et se distinguant entre eux-mêmes, l’entrée dans un nouvel endogroupe comme kazakhstanais pourrait comporter l’abandon de caractéristiques importantes pour la définition du groupe d’origine et être donc perçue comme une menace pour l’identité collective de ses membres.
En outre, il existe un deuxième obstacle empêchant la création d’une telle identité nationale : la présence du composant kazakh dans sa construction. Dans ses discours, Nazarbaev définit l’identité kazakhstanaise comme kazakhe. « La culture kazakhe doit être sérieusement assimilée par les représentants des autres ethnies, comme les Kazakhs ont sérieusement étudié, en leur temps, la culture russe 235 ».Mais pour fonctionner dans la société multiethnique et plurilingue du pays, l’identité kazakhstanaise doit être vidée de tout contenu ethnique. En raison de la spécificité du Kazakhstan, ni histoire, ni culture, ni religion et ni langue communes ne peuvent être utilisées comme des facteurs intégratifs de la nation. De surcroît, la dévalorisation de l’image des Russes et de leur rôle dans l’histoire du Kazakhstan qui a été révisée après l’indépendance, la restriction de la participation à la vie sociale ne favorise par l’éveil du patriotisme et du sentiment d’appartenance au pays chez les ethnies slaves. De même avec les langues russe ou kazakhe : le russe ne peut devenir symbole d’un être-ensemble car les Kazakhs en ressentent trop le caractère imposé et voient dans son usage un moyen d’affaiblir leur propre culture236. En ce qui concerne la langue kazakhe, elle ne peut pas réunir toutes les ethnies en raison de son utilisation faible dans le pays.
Comme écrit S. Abou (1986, p. 29), les nations ethniquement homogènes ou hétérogènes, ont tendance à se définir de deux manières différentes : soit en invoquant les critères de l’ethnicité – race, langue, religion, etc. – soit en affirmant la volonté des citoyens de vivre ensemble et d’assumer un destin commun. Dans la mesure où le passé ne peut être que partagé avec difficulté, les peuples s’identifient plus facilement autour d’espoirs partagés dans le futur. Dans ce cas, W. Dressler pense que le principal modèle historique alternatif pour les Kazakhs est fourni par les Etats-Unis qui intégrèrent leur nation multiethnique autour du « rêve américain ». Cette idée nationale s’est transformée dans la Stratégie « Kazakhstan 2030 » et est destinée à construire l’avenir radieux pour tous les Kazakhstanais. Elle correspond à la théorie des conflits réels de Sherif pour réorienter les groupes sociaux à construire et à atteindre le but commun. Cependant, la société kazakhstanaise est loin d’accepter facilement ce modèle d’intégration : l’émigration incessante des ethnies d’origine slave nous en témoigne.
N. Nazarbaev (1999) Dans le flux de l’histoire, Almaty, Atamura, p. 124.
W. Dressler (1999) Le second printemps des nations. Sur les ruines d’un Empire, questions nationales et minoritaires en Pologne (Haute Silésie, Biélorussie polonaise), Estonie, Moldavie, Kazakhstan , Bruxelles, E. Bruylant, p. 322.