Le 22 septembre 1989, le Kazakhstan a proclamé la langue kazakhe comme langue nationale. Ce statut officiel a été fixé dans l’article I de la loi « Sur les langues dans la république kazakhe ». Le russe devient non pas langue officielle, mais langue de communication entre « nationalités » et il peut être utilisé à égalité avec la langue d’Etat (art.2). La loi kazakhe est l’une des plus libérales dans l’espace post-soviétique : elle encourage la population à maîtriser le russe et permet aux élèves de choisir leur langue d’enseignement. La maîtrise du kazakh est rendue obligatoire pour accéder à l’enseignement supérieur et pour entrer dans la fonction publique261.
La politique de la kazakhisation prend son essor à partir de 1990 lorsque débute un programme destiné à introduire le kazakh dans les sphères de l’administration officielle, jusque-là très largement monopolisées par la langue russe. Cependant, les régions peuplées majoritairement par les Russes, obtiennent l’autorisation de retarder l’entrée du kazakh dans l’administration au 1er janvier 1995. Le programme prévoyait cependant que l’administration devait être pleinement bilingue au 1er janvier 2000. La Constitution de 1995 garantit la sauvegarde des fonctions de la langue russe et assure l’utilisation des langues minoritaires. Pourtant, elle porte une attention prioritaire à la langue kazakhe : plusieurs textes fixent le programme de son implantation dans tous les domaines de la vie. Les fonctions du kazakh s’élargissent : le 5 octobre 1998, « le programme d’Etat sur le fonctionnement et le développement des langues » accentue la primauté de la langue éponyme. Ce document garantit l’usage de la langue kazakhe non seulement dans les organes d’Etat centraux et locaux, mais également dans de nombreux autres domaines : transport, communication, commerce, assurance, services d’informations. Selon la loi de la République du Kazakhstan №389-1 du 7 juin 1999, intitulée Sur l’enseignement, tous les établissements d’enseignement s’engagent à assurer la connaissance et le développement de la langue kazakhe comme langue d’Etat. L’apprentissage de la langue russe et d’une langue étrangère à tous les niveaux d’enseignement conformément au standard obligatoire d’Etat (art.5).
Mais le rythme de la réalisation du programme du développement du kazakh ne répond toutefois pas aux attentes des militants kazakhs. Les difficultés liées à la réalisation de ce programme sont suivantes : la qualité basse de l’enseignement de la langue d’Etat dans les établissements d’enseignement à tous les niveaux ; le déficit élevé en enseignants qualifiés et compétents, en manuels et méthodes pédagogiques, dictionnaires ; la confusion terminologique surtout dans le domaine concernant les nouvelles technologies. Il faut reconnaître aussi la réalité du faible usage de la langue nationale chez les Kazakhs. Les hauts responsables kazakhs eux-mêmes ne sont bien souvent pas en mesure de maîtriser la langue éponyme dans tous les aspects de leur vie professionnelle. De surcroît, les Russes et les autres Slaves s’efforcent de leur côté de ralentir l’application de la législation, en particulier dans les régions où ils sont majoritaires. Ils demandent le statut officiel de la langue d’Etat pour le russe au Kazakhstan. Tous ces problèmes retardent la réalisation du programme du développement du kazakh. Ainsi, malgré les mesures prises depuis 1989, le kazakh n’a pas encore atteint, dans la pratique, un réel statut de langue nationale.
Néanmoins, les optimistes estiment que la langue kazakhe peut devenir un moyen de communication interethnique. Les Kazakhs, Tatars, Ouzbeks, Ouïgours, Kirghiz et les représentants d`autres ethnies ayant une base linguistique turcique peuvent recourir à l`emploi du kazakh pour leurs contacts interpersonnels et de groupe. Au total, ils constituent plus de 60% de la population du Kazakhstan. La situation ethnodémographique visible permet de dire qu’au Kazakhstan la part de la population turcophone augmente fortement. Cette tendance peut en devenir une base ethnolexicale pour l’extension de l’usage du kazakh et sa transformation au fur et à mesure en langue interethnique, interpersonnelle, de groupe et enfin en facteur identitaire commun. Les partisans d’une telle politique linguistique affirment que tout ce qui est fait dans cette direction n’est pas une manifestation contre quelqu’un ou quelque chose mais une sauvegarde pour favoriser le développement de la langue kazakhe qui a failli être historiquement oubliée et disparaître.
S.Peyrousse Entre Russie et Asie centrale : regard croisé sur la minorité russe au Kazakhstan , Cahiers d’études sur la Méditerranée orientale et le monde turco-iranien, n°34, 2002, p.104.