Tout d’abord, nous présentons les résultats du groupe ethnique kazakh. Nous constatons qu’une légère majorité des Kazakhs (42,1%) est favorableà la suppression du point « origine ethnique » sur leur passeport et leur carte d’identité ; 38,9% des enquêtés ont choisi la réponse « Non » et 18,9% ont répondu « Ne sait pas ». Chez les Kazakhs, le taux des réponses positives à cette question est plus élevé que dans les autres groupes ethniques.
La différence avec la répartition de référence est significative. chi2 = 8,99, ddl = 2, 1-p = 98,88%.
Le chi2 est calculé avec des effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.
Ce tableau est construit sur la strate de population kazakhe contenant 95 observations et définie par le filtrage suivant : origine ethnique = "kazakh".
Nous avons synthétisé toutes les explications pour et contre la suppression de l’origine ethnique. Elles se fondent surplusieurs raisons que nous citons et que nous avons regroupées en fonction de leur contenu. Nous avons présenté les réponses favorablesdans les catégories suivantes :
Nous expliquons ces attitudes par le fait que l’aspect patriotique prend une place importante. En effet, pour les Kazakhs, la suppression de cette référence est moins douloureuse que pour les représentants des autres ethnies parce que les Kazakhs étant l’ethnie « titulaire » s’identifient plus facilement au pays. Lafierté d’être Kazakh signifie aussi le patriotisme. En fait, leur statut politique dominant en qualité d’ethnie « titulaire » renforce le patriotisme ethnique engendré par la politique de l’Etat. Le patriotisme kazakh a donc la couleur ethnique, renforcée par la politique d’Etat. Selon cette politique, « l’identité kazakhstanaise est en effet appelée à se constituer dans une relation ambiguë à l’identité kazakhe 328» (M. Laruelle, S. Peyrousse, 2003). Nous voyons les fruits de cette idéologie nationale les fruits de telle idéologie nationale dans les réponses des enquêtés : la prédominance kazakhe est mise en exergue dans la représentation de l’identité nationale chez les jeunes kazakhs. Ainsi, le patriotisme et la revendication de l’identité ethnique sont indissociables pour les Kazakhs. Cela confirme notre première hypothèse que, pour les Kazakhs, l’identification au paysest intrinsèquement liée à leur origine ethnique.
L’idée de l ’unité du peuple sur le principe de citoyenneté apparait dans ces explications :
‘« Je suis d'accord pour ces changements parce que "Kazakhstanais" unira toutes les ethnies dans une seule nation. Peut-être, notre peuple deviendra t-il plus uni ». F., 20 ans.Beaucoup de Kazakhs sont d’accord pour la suppression de l’origine ethnique puisque, à leur avis, cette solution favorisera l’unité du peuple. Les enquêtés expriment l’espoir de voir le peuple kazakhstanais uni, tous les citoyens ayant les mêmes droits. Ils sont favorables à l’idée d’intégrer le peuple sur la base du principe civil et non ethnique. Ainsi, la majorité des Kazakhs soutient l’idée de la suppression de l’origine ethnique et l’identification de tous les citoyens sous le nom « kazakhstanais ». Le principe de citoyenneté est déterminépar « le droit du sol » signifiant l’égalité. Selon l’opinion des jeunes kazakhs, la citoyenneté étant le symbole de l’égalité doit être appliquée à tous les citoyens quelle que soit leur origine ethnique. La citoyenneté doit donc supprimer les différences ethniques entre les hommes et les intégrer dans unpeuple uni. Cette décision, à leur avis, contribuera aussi à la lutte contre la discrimination dans la société :
‘« Je crois que si nous vivons dans un pays laïc démocratique, nous ne devons pas avoir de séparation selon l'origine ethnique, c'est-à-dire, de discrimination entre les droits des uns et des autres ». F., 20 ans.’La séparation « Nous/Eux » selon l’appartenance ethnique empêche l’intégration des citoyens et provoque des conflits entre les groupes ethno-culturels dans la société. Certains jeunes kazakhs croient que la suppression du point « origine ethnique » pourra éviter la tension interethnique et diminuer la probabilité des conflits :
‘« Sans aucune distinction ethnique. Le plus important c’est l’appartenance au pays (patriotisme, le moins possible de conflits basés sur l’ethnicité bien que je ne les remarque pas) ». F., 20 ans.En expliquant leur réponse affirmative à la question, les Kazakhs se réfèrent à l’expérience mondiale :
‘« C'est l'expérience mondiale. Par exemple, en France on ne dit pas Arabes, Noirs, ils sont tous Français ». H., 21 ans.Pour ces jeunes, il faut suivre la pratique des pays occidentaux qui ne mentionnent pas l’origine ethnique, considérée plus progressiste. Pour eux, l’affirmation de l’appartenance ethnique n’est pas essentielle au regard de ce qui se passe dans le monde où, de plus en plus, ce sont les appartenances nationales qui sont mises en avant. C’est ce qui est porté sur le passeport en tant qu’identité nationale qui est significatif pour les étrangers lorsqu’ils doivent classer les individus selon leur origine.
Le contenu des explications des réponses contre la suppression est aussi très varié. Au total, 38,9% des Kazakhs soutiennent l’idée degarder l’origine ethnique. Contrairement aux arguments affirmant l’unification de tous les citoyens grâce à la suppression de ce point, ils croient qu’il ne faut pas ignorer la présence des différentes ethnies dans le pays. Ils ne soutiennent pas l’idée d’assimiler tous les citoyens du pays et le point « origine ethnique » est donc destiné à bien indiquer la diversité ethnique du Kazakhstan. Ainsi, leurs raisons contre la suppression prônent la diversité ethnique du pays qu’il faut mentionner au niveau national:
‘« Parce qu'il existe beaucoup d'ethnies dans les pays y compris le Kazakhstan. Si ces ethnies existent cela veut dire qu'il faut les indiquer (au moins sur le passeport) ». F., 20 ans.Ces enquêtés kazakhs différencient les notions d’origine ethnique et de citoyenneté qu’ils considèrent comme indépendantes. Ils trouvent inadmissible la pratique des pays occidentaux de ne pas indiquer l’origine ethnique. À leur avis, cela appauvrit la diversité culturelle du peuple et nivelle les particularités ethniques. La présence du point « origine ethnique » permettra de conserver les traditions culturelles de chaque ethnie face à la mondialisation qui dépersonnalise tous les groupes culturels :
‘« Pour la conservation de l’originalité et des particularités de chaque ethnie, de leurs us et coutumes. Par exemple, les Etats-Unis n’ont pas gardé leur culture originelle et ce n’est pas bien. Toutes les frontières sont pratiquement effacées ». F., 21 ans.’Ainsi, ces jeunes croient que l’exemple des Etats-Unis et d’autres pays ne peut pas servir de modèle pour l’Etat-Nation qu’il faut essayer de construire au Kazakhstan.
Un autre argument pour ne pas supprimer l’origine ethnique c’est la fierté de son ethnie et son respect. Ces jeunes kazakhs considèrent cette référence comme l’élément important de leur identité :
‘« Non, je ne suis pas du tout d'accord pour supprimer le point "l'origine ethnique". Si je suis Kazakhe et que j'habite au Kazakhstan, je ne dois pas en avoir honte. Au contraire, j'en suis fière ». F., 22 ans.Dans la plupart des réponses négatives, les Kazakhs considèrent l’origine ethniquecommele marqueur identitaire important qui doit figurer sur les documents officiels. Nous interprétons leur désir de le garder comme la revendication de leur identité personnelle liée à l’origine culturelle qu’ils ne veulent pas cacher. Pour ces jeunes kazakhs, l’indication ethnique sur la carte d’identité est aussi importante comme le nom de la personne. C’est le signe de l’appartenance culturelle que les Kazakhs veulent montrer :
‘« L'origine ethnique est aussi importante que ton nom. Le Kazakhstanais c'est le citoyen du Kazakhstan ». F., 15 ans.’La conservation de l’origine ethnique comme marque de respect à ses parents est l’argument de la catégorie de réponses suivantes :
‘« Je ne suis pas d'accord car je respecte mes parents et je veux montrer qui je suis. Mon père est Kazakh cela signifie que je suis Kazakh aussi ». H., 16 ans.’En fait, chez les Kazakhs, les relations familiales ont conservé un caractère patriarcal. Le respect et l’obéissance manifestés à ses parents sont des traits typiques du peuple kazakh. Les parents rappellent toujours les racines culturelles qu’il ne faut pas oublier. C’est pourquoi l’appartenance à sa famille signifie l’appartenance à l’ethnie kazakhe.
Certains Kazakhs veulent conserver la référence « origine ethnique » en hommage à leurs ancêtres. L’origine ethnique symbolise un lien ancestral entre l’individu et ses ascendants qu’il ne faut pas couper. Sinon, pour un Kazakh, la suppression du point « origine ethnique » sera considérée comme la trahison de ses aïeux. N’oublions pas que le culte des ancêtres fait partie de la culture kazakhe. Cette croyance pré-islamique issue du chamanisme est toujours vivante dans la conscience du peuple. Selon la tradition historique de ce culte, dès leur plus jeune âge, les Kazakhs se doivent de bien connaître au minimum les noms des sept générations précédentes. Cette tradition lie chaque Kazakh à son passé. Ainsi, l’origine ethnique signifie l’appartenance de chaque individu à ses racines culturelles :
‘« Un homme doit respecter et honorer ses ancêtres ». H., 20 ans.’Dans le groupe « Kazakhs », 18,9% des sujets ne savent pas comment répondre à cette question ousont indifférents :
‘« Je ne sais pas pourquoi mais je suis indifférent pour "origine ethnique" ou "Kazakhstanais" ». H., 21 ans.Synthèse des résultats
En résumé, les Kazakhs soutiennent majoritairement l’idée de supprimer la référence « origine ethnique » sur le passeport et la carte d’identité. Ils avancent plusieurs arguments en faveur de leur réponse affirmative. A leur avis, la suppression de cette référence sur les documents officiels renforcera le sentiment de patriotisme et contribuera à l’unité du peuple comme dans la plupart des autres pays du monde.Cette suppression sera également utile pour lutter contre la discrimination dans la société. Alors que la conservation du point « l’origine ethnique » provoque la tension interethnique et ne favorise pas l’intégration de la nation kazkhstanaise. Ainsi, selon l’avis des Kazakhs, la suppression de cette référence ne représente pasde danger pour leur identité culturelle. Nous constatons que pour la majorité des enquêtés, les mots «Kazakh » et « Kazakhstanais » sont synonymiques. Le patriotisme signifie la fierté d’être Kazakh avec leur statut dominant dans le pays. Donc, notre première hypothèse se confirme. En ce qui concerne les réponses négatives, elles n’ont pas de caractère politique mais sont plutôt d’ordre symbolique. Parmi les arguments contre la suppression du point « origine ethnique » nous trouvons la volonté de conserver les traditions culturelles,le respect aux parents et l’hommage aux ancêtres.
M. Laruelle, S.Peyrousse (2003) Les Russes du Kazakhstan. Identités nationales et nouveaux États dans l’espace post-soviétique, Paris, Maisonneuve & Larouse, p. 64.