9.1.2.L’analyse des réponses du groupe « Russes »

Maintenant, nous allons analyser les réponses du groupe « Russes » à cette question. Nous nous sommes intéressés à leur opinion et à leurs explications argumentées.

Tableau 48°. Suppression du point « origine ethnique ». Groupe « Russes ».
Tableau 48°. Suppression du point « origine ethnique ». Groupe « Russes ».

La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 42,19, ddl = 2, 1-p = >99,99%.

Le chi2 est calcule avec des effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.

Ce tableau est construit sur la strate de population russe contenant 186 observations et définie par le filtrage suivant : origine ethnique = "russe".

La plupart des Russes (53,8%) ont répondu négativement à la question « Êtes-vous d’accord pour supprimer le point « origine ethnique » sur le passeport et la carte d’identité ? ». 31,2% des jeunes russes sont d’accord pour supprimer cette référence et 15,1% ont choisi la réponse « Ne sais pas ». Nous avons fait l’analyse du contenu de toutes les réponses et classés leurs arguments dans les catégories suivantes.

En donnant une réponse négative, les jeunes russes expliquent qu’il faut distinguer les appartenances ethnique et civile c’est-à-diredifférencier l’appartenance aux origines ethno-culturelles et l’appartenance au pays :

‘« "Ethnicité" montre l'appartenance à soi-même, alors que "Kazakhstanais" montre l'appartenance au pays et tu n'as déjà plus de personnalité ». F., 20 ans.
« J'aime beaucoup mon pays mais je ne suis pas d'accord pour ce changement parce que "ethnos" et "citoyenneté" ce n'est pas la même chose ». F., 17 ans.
« Beaucoup de gens sont fiers de leur origine. L'origine et la citoyenneté sont deux choses différentes ». H., 21 ans’

Pour la majorité des Russes, l’appartenance ethnique est préférée à l’appartenance au pays : « Le Kazakhstan c'est le pays où peuvent résider en paix plusieurs nationalités. Et c'est absolument cool qu'il existe un tel pays. Mais pour moi l'appartenance ethnique est plus importante que l'appartenance civile ». F., 20 ans.

La revendication de l’identité culturelle s’exprime par la fierté d’être Russe qui est donc la stratégie identitaire de ces jeunes face à la tendance à unifier tous les citoyens :

‘« Tout simplement je ne veux pas, je n'ai pas honte de mon origine ethnique, que tous sachent que je suis Russe ». F., 18 ans.
« Pour moi, "Kazakhstanais" est l’appartenance au pays, la citoyenneté, alors que l'appartenance ethnique, c’est mes racines, mes origines que je voudrais conserver et la fierté d'appartenir à tel ou tel groupe ethnique ». F., 22 ans.
« Je ne veux pas perdre mes racines et être Kazakhstanais. Parce que je suis né Russe, et je mourrai Russe ». H., 17 ans.
« Je suis Russe et j'en suis fière ! ». F., 21 ans.’

Dans les réponses des jeunes russes nous voyons la résistance à l’unification de l’ensemble des ethnies. Selon leur opinion, l’ethnicité montre l’appartenance culturelle et donc l’individualité alors que « Kazakhstanais » confond tous les citoyens sous le même nom :

‘« Je ne suis pas d'accord puisque les hommes sont tous différents selon leurs origines ethniques et que tous seront "Kazakhstanais". La bêtise complète ». F., 18 ans.
« Simplement "Kazakhstanais" ne signifie pas ma nationalité. Chaque homme a son individualité ainsi que son ethnie ». F., 18 ans.
«"Kazakhstanais" ne détermine pas la nationalité. Il ne faut pas mélanger toutes les nations et les réunir sous le même nom. Ce n'est pas correct ». F., 21 ans. ’

La peur d’être assimilé c’est le raisonnement qui est très répandu dans les réponses des Russes. La synonymie des mots « Kazakh » et « Kazakhstanais » sert d’argument pour résister à l’unification qui angoisse les Russes, menacé de perdre leur identité culturelle :

‘« Si Kazakhstanais cela veut dire Kazakh, je ne suis pas Kazakhe ». F., 15 ans.
« C'est important d’indiquer de quelle origine ethnique tu es ; si j'habite au Kazakhstan cela ne signifie pas que je suis Kazakhe ». F., 16 ans.
« L'origine ethnique est très importante. Si l'homme habite au Kazakhstan cela ne signifie pas qu'il est Kazakh comme le pensent beaucoup de gens et ça m'agace ! » F., 18 ans.
« Je ne pense pas qu'il faut changer le point "origine ethnique" car chaque homme doit conserver son appartenance à telle ou telle ethnie, sinon il perdra son identité ». F., 20 ans.’

Nous avons regroupé les arguments justifiant de maintenir l’origine ethnique pour le respect et la reconnaissance des minorités ethniques au pays. Ces jeunes rappellent que le Kazakhstan est un pays multiethnique et le gouvernement doit respecter les droits des minorités. Le désir de revendiquer leurs origines avec la reconnaissance de leurs droits sans subir de discrimination s’exprime dans ces réponses :

‘« Chez nous habitent des grandes diasporas de différentes ethnies qui pour des raisons différentes se sont retrouvés sur le territoire du Kazakhstan. Ce serait irrespectueux ne pas indiquer de quelle origine ils sont ». F., 20 ans.
« N'importe quelle ethnie a le droit à l'existence indépendamment du pays où elle habite ! » F., 21 ans.
« Parce que l'origine ethnique est inhérente à chaque personne et c'est son droit. Sa mention sur le passeport c'est une chose avec laquelle elle naît ». F., 21 ans.’

Pour les Russes, le point « origine ethnique » symbolise le lien ancestral avec leur passé. Ils veulent avoir cette référence fixée sur les documents qui les lie à leur « patrie historique » et à l’histoire de leur ethnie :

‘« Parce que je suis un homme russe et que j'aime mon ethnie. Je ne veux pas être "Kazakhstanais". Le "Kazakhstanais" n'a aucune passé histoire alors que l'homme russe a l'histoire très riche ». H., 20 ans.
« L'ethnicité est la partie intégrante de l'histoire de ma nation ». H., 20 ans.
« Parce que n'importe quel citoyen doit connaitre son origine, son ethnie, les us et coutumes de son peuple, indépendamment du lieu où il habite ». F., 20 ans.
« Mon origine ethnique signifie l'histoire de ma famille, l'histoire de ma lignée et non l'histoire du Kazakhstan ! ». H., 20 ans.’

Ces jeunes russes n’acceptent pas l’idée de suivre l’exemple des pays occidentaux comme les Etats-Unis, dont le modèle de construction de leur modèle de la construction de la nation mène à la perte d'identité, l’uniformisation de tous les individus déracinés à cause de l’abandon de leurs origines :

‘« Je n'ai pas de préjugés raciaux ou nationaux c'est pourquoi j'aimerais rester l'homme de mon origine parce que je ne ressemble pas au Kazakh, à l'Allemand ou à quelqu'un d’autre. En plus, je rebute le mot Américain ». H., 21 ans.
« Parce que l'homme doit être fier de son origine, connaître son histoire et sa langue alors que le nivellement "Kazakhstanais" mènera à la décadence culturelle comme aux Etats-Unis ». F., 21 ans. ’

Certains Russes projettent de partir en Russie après leurs études au Kazakhstan et c’est pourquoi ils veulent conserver leur référence ethnique sur le passeport. Ils ne voient pas leur avenir au Kazakhstan :

‘« Je suis Russe et j'ai déménagé au Kazakhstan pour une raison de force majeure.Je vais repartir en Russie c'est pourquoi le point "origine ethnique" est important pour moi ». H., 18 ans.
« Ma patrie historique est la Russie et probablement je désirerai y partir. Un homme doit connaître ses origines (culture, traditions, coutumes) ». H., 22 ans.
« Moi, après mes études à l'Université je partirai en Russie et donc, je m'en fous ». H., 21 ans.’

Maintenant, nous allons analyser les explications des enquêtés russes qui sont favorables à la suppression du point « l’origine ethnique », afin d’éviter la discrimination ethnique et de faciliter l’intégration dans la nation. Elles sont regroupées dans des catégories classées selon différents thèmes :

‘« Il sera possible d'avoir moins de discrimination ethnique ». H., 23 ans.
« Je pense que ce sera mieux dans le sens qu'il y aura moins de barrières et de préjugés raciaux ». H., 21 ans.
« Le point "origine ethnique" mène à la séparation entre les ethnies ». H., 16 ans.
« Pour l'union du peuple, ça peut aider d'avoir moins de conflits sur la base ethnique ». H., 22 ans. ’

A leur avis, l’indication de l’origine ethnique empêche l’intégration de tous les citoyens et favorise la discrimination dans la société. La décision de ne pas afficher l’ethnicité sur les documentssupprimera les barrières et les préjugés entre les citoyens.

Ces enquêtés russes expliquent aussi leurs réponses affirmatives par le patriotisme et la fierté d’être citoyen du Kazakhstan. Être « Kazakhstanais » signifie l’appartenance à ce pays qui est leur pays de naissance, la patrie :

‘« Il n'y a aucune différence en fonction de l’origine. Vu que nous vivons dans le même pays, on peut tous s’appeler "Kazakhstanais" ». H., 21 ans.
« Parce que ma Patrie est le Kazakhstan et j'en suis très fière !!! ». F., 17 ans.
« Je suis patriote ». H., 21 ans.
« Je crois que je suis citoyen du Kazakhstan et je suis Kazakhstanais depuis manaissance ». H., 17 ans.’

Ils sont fiers d’être citoyens du Kazakhstan et trouvent que l’appartenance civile est plus importante que l’appartenance ethnique :

‘« L'origine ethnique ce n'est pas assez important alors que le citoyen du pays, c'est important ». H., 20 ans.
« Parce que nous somme les citoyens d’un pays uni ». H., 16 ans.
« Ce n'est pas important de savoir à quel groupe ethnique tu appartiens, si tu es né dans ce pays, si tu vis ici et si tu connais la langue officielle de cet Etat ». F., 21 ans.’

En dehors des réponses affirmatives et négatives, 15,1% des interrogés russes ont choisi la réponse « Ne sait pas » à cette question. Ces enquêtés hésitent à répondre pour ou contre puisqu’ils trouvent des raisons positives et négatives à cette question :

‘« D'une part, chacun a son origine ethnique, d'autre part, il n'y aura pas d'inégalité interethnique ». F., 20 ans.’

C’est pourquoi, majoritairement ces jeunes russes proposent la solution de laisser les gens, soit conserver ou supprimer l’origine ethnique sur les documents officiels, soit garder les deux points « origine ethnique » et « appartenance civile » :

‘« Indiquer ou ne pas indiquer c'est l'affaire personnelle. Cela doit se passer selon la volonté personnelle ». H., 20 ans.
« J’hésite parce que cette question ne pose pas souvent. Je propose de mentionner les deux points "origine ethnique" et "Kazakhstanais" ». H., 19 ans.’

Le peu d’importance accordé à cette rubrique sur le passeport, donc l’indifférence éprouvée apparait dans ces réponses :

‘« Je n'ai jamais pensé à ça ... l'origine ethnique ne m'intéresse pas ». H., 21 ans.
« Je ne suis pas intéressée par l'origine ethnique de l'homme, le plus important pour moi c’est qu'il soit un Homme ». F., 20 ans.
« Je suis indifférent à ce point ». H., 20 ans. ’

Synthèse des résultats

Nous constatons que les enquêtés russes majoritairement sont contre la suppression du point « origine ethnique » sur le passeport et la carte d’identité (53,8%). Ils expliquent leur opinion par la nécessité de conserver leurs racines culturelles et le lien ancestral avec la Russie, qui reste leur patrie historique. Dans leurs réponses, nous remarquons que la revendication de l’appartenance culturelle s’exprime dans la fierté d’être Russe et l’attachement aux racines. La revendication de leur appartenance ethnique est renforcée par l’incertitude sur leur avenir et les perspectives professionnelles au Kazakhstan. Ainsi, la suppression du point « origine ethnique » sur les documents officiels est considérée par les Russes comme une tentative d’assimilation et une menace pour leur identité culturelle. Ils pensent que le gouvernement doit laisser cette mention sur le passeport pour marquer le respect et la reconnaissance des minorités ethniquesdans le Kazakhstan multinational.

Quant aux enquêtés d’origine russe qui veulent supprimer l’origine ethnique (31,2%), ils fournissent aussi plusieurs arguments. A leur avis, cela peut favoriser la disparition de la discrimination ethnique et raciale, contribuer au patriotisme et à l’égalité des tous les citoyens du Kazakhstan sans référence aux origines ethniques.

Nous constatons donc que pour la majorité des russes, l’appartenance ethnique est plus importante que l’appartenance à la nation kazakhstanaise. Cette conclusion confirme notre deuxième hypothèse que les jeunes russes revendiquent leur identité ethnique au détriment de l’identité nationale pour se défendre contre l’assimilation ou l’unification dans Etat-Nation basé sur l’identité de l’ethnie kazakhe.