9.1.3.L’analyse des réponses du groupe « Autres ethnies » 

Les enquêtés du groupe « Autres ethnies » ont répondu d’une manière voisine de celle des Russes. Nous observons que le « Non » prédomine dans ce groupe des interrogés (54,4%). En même temps, 32,2% des enquêtés sont favorables à la suppression du point « origine ethnique » et 13,3% ont choisi la réponse « ne sais pas ».

Tableau 49°. Suppression du point  « origine ethnique ». Les données du groupe "Autres ethnies".
Tableau 49°. Suppression du point  « origine ethnique ». Les données du groupe "Autres ethnies".

La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 22,87, ddl = 2, 1-p = >99,99%.

Le chi2 est calculé avec des effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.

Ce tableau est construit sur la strate de population « Autres ethnies » contenant 90 observations et définie par le filtrage suivant : origine ethnique = «Autres groupes ethniques ». 

Leurs arguments sont regroupés dans les catégories thématiques. Les réponses qui considèrent l’origine ethnique comme la référence historique aux ancêtres et aux racines culturelles constituent la première catégorie :

‘« Ce point met l'accent sur tes racines, montre que ton père et tes ancêtres avaient la même origine ». H., 22 ans.
« Il ne faut pas oublier les racines ». H., 21 ans.
« Je suis fière d'habiter dans ce pays. Mais pour moi l'origine ethnique de ma famille, les us et coutumes de mes ancêtres sont très importants ». F., 21 ans. ’

Comme l’expliquent ces jeunes, la citoyenneté est une référence instable qui peut changer à la suite d’un déménagement, par exemple. Alors que l’appartenance ethnique marque l’individu dès sa naissance et le lie à sa famille et à ses ancêtres. L’appartenance culturelle est donc plus importante. Elle exprime mieux la personnalité par la référence à ses origines :

‘« Le Kazakhstanais c'est un homme habitant dans les frontières déterminées par l'Etat du Kazakhstan mais qui n'appartient pas spirituellement à cet Etat alors que l'ethnicité c'est la notion plus large et spirituelle, donnée dès la naissance ». F., 20 ans.
« Mon origine ethnique c'est ma personnalité, ce sont mes traditions, c'est l'origine de ma famille, mes racines que je ne peux pas refuser ». F., 20 ans.
« Parce que "Kazakhstanais" c'est incompréhensible alors que l'origine ethnique c'est clair tout de suite ». F., 17 ans.’

Les réponses faisant appel au respect et à la reconnaissance des minorités ethniques au pays sontregroupées dans la deuxième catégorie. Les enquêtés sont contre la proposition d’ignorer leur appartenance ethnique au niveau officiel. Cela équivaut à une tentative d’assimilation de tous les citoyens, d’où un danger pour la diversité culturelle du pays :

‘« Chaque personne a une nationalité et il en est fier ou non. Tous ne peuvent pas être assimilés aux "Kazakhstanais". Oui, nous vivons au Kazakhstan, nous sommes "Kazakhstanais" mais cela n'est pas la nationalité. Cela est inacceptable pour tout le monde ». F., 21 ans.
« Dans la République du Kazakhstan habitent beaucoup d'ethnies et c'est normal. Il ne faut pas mettre tous les gens dans une seule catégorie "Kazakhstanais" ». F., 20 ans.
« Je suis fière de mon origine etde l’origine des autres, ça montre la diversité ». F., 21 ans.
« N'importe quel homme ale droit de revendiquer son origine ethnique. Le terme "Kazakhstanais" indique seulement le pays dans lequel un homme vit et non son origine ». F., 15 ans.’

Dans la solution de supprimer l’origine ethnique sur le passeport, certains jeunes voient l’imitation du modèle américain de construction d’un Etat-Nation. Alors qu’à leur avis, ce modèle n’est pas un bon exemple à suivre. Que cette conception soit imposée provoque une réponse rageuse de ce jeune homme : « L'imitation les Américains me met en fureur !!! Ils ne sont pas le nombril du monde !!! » H., 22 ans.

Dans la troisième catégorie nous avons classé les explications des enquêtés appartenant aux minorités ethniques ; elles se basent sur la fierté de son origine ethnique et son importance pour l’identité personnelle :

‘« Je suis fier de mon origine et je veux qu'elle soit marquée sur le passeport ». H., 21 ans.
« Je suis un pur Ukrainien. Je respecte le Kazakhstan et je suis fier d'être citoyen du Kazakhstan mais je ne refuserai jamais d'être Ukrainien ! » H., 17 ans.
« Parce que je ne changerai jamais mon ethnie. Je l'aime et j'en suis fière. Mais cela ne signifie pas que je ne respecte pas les autres ethnies. Chaque ethnie est l’égale des autres ». F., 22 ans.
« Mon origine ethnique est très importante pour moi et je ne suis pas patriote au point de la refuser ». H., 15 ans.’

Ces commentaires montrent la défense contre l’assimilation culturelle etsont classés dans la quatrième catégorie. Ces jeunes trouvent que les mots « Kazakh » et « Kazakhstanais » sont identiques et c’est pourquoi ils sont contre ce changement représentant une menace pour leur identité ethnique. Cette réaction est une forme de résistance à l’assimilation culturelle :

‘« Je ne veux pas être "Kazakhstanais" parce que je ne suis pas Kazakh ». H., 21 ans.
« Je suis Russe et je ne veux pas être Kazakh. Le Kazakhstanais pour moi signifie la même chose que le Kazakh ». H., 16 ans.
« Parce que je ne suis pas Kazakhe même si je suis née au Kazakhstan et mes enfants auront tous l'autre nationalité ». F., 21 ans.’

En ce qui concerne les réponses affirmatives à cette question, elles contiennent plusieurs arguments. Le plus cité c’est la non-importance de l’origine ethnique :

‘« A mon avis, dans les rapports entre les gens, l'origine n'a pas d'importance ». F., 20 ans.
« Je pense que c'est un point inutile qu’on peut ignorer ». H., 21 ans.
« Je suis indifférent par rapport à mon origine ethnique et celle-ci ne doit pas influer sur la vie privée de l'autre ». H., 16 ans.
« L'origine ne joue pas un assez grand rôle pour être 'indiquée sur le passeport ». H., 20 ans.’

Selon leurs jugements, l’origine ethnique n’est pas importante dans les relations entre les gens. Elle peut être ignorée, même officiellement, et effacée du passeport et de la carte d’identité : « Je ne serais pas contre, car vraiment ce n'est pas important. Si tu habites au Kazakhstan, cela signifie que tu es "citoyen du Kazakhstan" ! » F., 16 ans.

Les enquêtés expliquent que le remplacement de l’origine ethnique par la seule « citoyenneté » contribuera à l’intégration des citoyens et à l’unité du peuple :

‘« Indépendamment de l'origine ethnique nous sommes tous citoyens d'un pays indépendant qui est notre patrie, c'est pourquoi nous sommes égaux et unis dans la nation indépendante ». F., 20 ans.
« Je crois que l'ethnicité ne doit pas nous séparer, nous sommes tous enfants du même pays ». F., 21 ans.’

L’idée d’effacer l’origine ethnique est aussi inspirée par l’exemple des pays développés comme la France. Les valeurs républicaines universelles, telles que la citoyenneté et l’égalité, ce sont les arguments avancés par ces jeunes. Etant une république, le Kazakhstan doit suivre le modèle étatique basé sur le principe de la citoyenneté :

‘« Je crois que le point "origine ethnique" est la répercussion de la vie passée. Chaque homme a le droit de décider s’il faut indiquer son appartenance ethnique ou non. Il vaudrait mieux et plus patriotiquement écrire "Kazakhstanais" ». F., 21 ans.
« En France on a la nationalité française tout en étant d’origine africaine ou arabe. Pourquoi ne pas faire pareil. En plus, nous avons une société multinationale ». H., 21 ans.’

En plus, la composition multiethnique du pays ne justifie pas de souligner cette référence personnelle : « Parce que le Kazakhstan est un Etat polyethnique c'est pourquoi ce n'est pas nécessaire ». H., 21 ans.

Certainsenquêtés pensent que la suppression du point «origine ethnique » favorisera l’égalité et la paix dans le pays.À leur avis,dans un pays polyethnique comme le Kazakhstan,il ne faut pas se focaliser sur l’origine des citoyens puisque cela peut provoquer des conflits interethniques :

‘« Cela favorisera l'égalité (diminution des conflits interethniques) ». F., 20 ans.
« Il n'y a pas d’importance spéciale mais, au contraire, ce point souligne la séparation selon le critère ethnique ». H., 21 ans.
« Je crois que tous les citoyens du Kazakhstan sont tous égaux quelle que soit leur origine ethnique, la seule barrière c’est la langue ». F., 20 ans.
« Mais toute la séparation provoque des différends ». H., 21 ans.’

Ainsi, selon l’opinion des enquêtés, une séparation fondée sur l’appartenance ethnique n’est pas utile pour l’intégration du pays. En outre, la suppression de l’origine ethnique sur les documents officiels sera une mesure pour lutter contre la discrimination et les préjugés dans la société :

‘« Bien que je m'identifie en tant que Juif je ne veux pas que ce soit la justification d’une attitude préconçue à mon égard. Je ne vois pas le sens dans le point "origine ethnique" ». H., 21 ans.
« Oui, car le Kazakhstan est un pays multinational. Il serait bien pour les gens de supprimer ce point pour éviter les discriminations (par exemple, pour obtenir le travail) ». F., 20 ans.’

Malgré la réponse « Ne sait pas », les enquêtés ont donné leur point de vue sur cette question. Ils hésitaient entre les deux réponses possibles : « Je ne sais pas parce qu'il faut à la fois rendre justice à la patrie ethnique et au pays dans lequel tu vis ». H., 17 ans.

Synthèse des résultats

Dans le groupe des enquêtés représentant les différentes minorités ethniques, nous voyons les réponses négatives (54,4%) l’emporter sur les réponses affirmatives (32,2%) à la question « Êtes-vous d’accord pour supprimer le point « origine ethnique » sur le passeport et la carte d’identité ? ». Leurs explications se basent essentiellement sur les références aux ancêtres et aux racines culturelles. En fait, ces jeunes croient que l’origine ethnique est un élément important dans leur construction identitaire. Elle doit figurer sur les documents officiels afin de rappeler leurs racines et de maintenir leur identité culturelle.

Parmi les autres aspects importants, nous citons l’appel au respect et à la reconnaissance des minorités ethniques du pays, le droit de préserver leur autonomie culturelle. Cette volonté s’explique par la fierté de leur origine ethnique et son importance pour l’identité personnelle. Ils élaborent les stratégies identitaires qui ont pour but de revendiquer leur origine ethnique. Elles prennent une forme de résistance à l’uniformisation de tous les citoyens, considérée comme une assimilation culturelle. En majorité, les sujets du groupe « Autres ethnies » ne perçoivent pas la citoyenneté du Kazakhstan comme un élément stable dans la construction de leur identité. Nous interprétons cela par le fait que les jeunes appartenant aux ethnies minoritaires ne se sentent pas autant protégés dans le pays que les Kazakhs, car « non-autochtones ». L’ethnicité est une notion importante qui rappelle toujours les racines culturelles, liées à l’histoire des ancêtres. Comme l’expliquait une jeune fille interrogée, « … l’ethnicité, reçue dès la naissance,  est une notion plus large et spirituelle,» que la citoyenneté, qui est limitée par les frontières de l’Etat et peut être changée « si un jour je déménage dans un autre pays ». Ainsi, l’origine ethnique est intrinsèquement liée à l’histoire de la famille et sa suppression sur le passeport signifierait la perte de l’identité culturelle et la rupture symbolique avec les ancêtres. Notre deuxième hypothèse est donc confirmée : la majorité des jeunes d’ethnies minoritaires valorisent leur appartenance ethnique pour résister à la construction d’une identité nationale basée sur la composante kazakhe.

Quant à la minorité des enquêtés qui est favorable à cette solution, leurs réponses affirmatives sont liées à l’attachement au Kazakhstan et à la fierté d’en être citoyen. La plupart des explications se réfèrent à l’intégration des citoyens et à l’unité du peuple. Ils acceptent l’idée de ne pas afficher l’origine ethnique afin d’éviter la discrimination dans la société en raison de leur statut de dominé. Autrement dit, ils privilégient l’intégration dans la société au détriment de la revendication de l’appartenance culturelle. Pour eux, la suppression de l’origine ethnique favorisera l’égalité et la paix au pays et affaiblira la tension entre les groupes ethniques ainsi que les préjugés dans la société.  

En résumé les Kazakhs soutiennent en majorité l’idée de supprimer la référence « origine ethnique » sur le passeport et la carte d’identité. Les Russes et les autres ethnies veulent garder majoritairement le point « origine ethnique » afin de conserver leur identité culturelle. Pour eux, l’identité ethnique est un repère stable et plus important que l’appartenance au Kazakhstan. Nous en concluons que sur cette question nos deux premières hypothèses sont confirmées.

Voici les résultats regroupés dans les tableau et graphique ci-dessous :

Tableau 50°. Suppression du point « origine ethnique » sur le passeport et la carte d’identité. Données de chaque groupe ethnique.
Tableau 50°. Suppression du point « origine ethnique » sur le passeport et la carte d’identité. Données de chaque groupe ethnique.

La dépendance n'est pas significative. chi2 = 6,54, ddl = 4, 1-p = 83,75%.

% de variance expliquée (V de Cramer) : 0,88%

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en ligne établis sur 371 citations.

Graphique n° 21 :
Graphique n° 21 :Suppression du point « origine ethnique » sur le passeport et la carte d’identité. Données de chaque groupe ethnique.