10.1.3.L’analyse des résultats du groupe « Autres ethnies »

Dans ce groupe, la majorité des enquêtés caractérisent les relations interethniques au Kazakhstan comme variables selon les situations (34,4%), à la différence des Kazakhs et des Russes ; presque un quart (24,4%) des jeunes les trouvent amicales, 16,7%, faciles. 12,2% pensent qu’elles sont neutres. Personne ne les trouve très difficiles. Néanmoins, pour 10% des jeunes, elles sont tendues. Enfin, un enquêté (1,1%) définit les relations interethniques comme négatives.

Tableau 56°. Estimation du caractère des relations interethniques au Kazakhstan. Données du groupe "Autres ethnies"
Tableau 56°. Estimation du caractère des relations interethniques au Kazakhstan. Données du groupe "Autres ethnies"

La différence avec la répartition de référence est très significative. chi2 = 76,58, ddl = 7, 1-p = >99,99%.

Le chi2 est calculé avec des effectifs théoriques égaux pour chaque modalité.

Ce tableau est construit sur la strate de population des minorités ethniques contenant 90 observations et définie par le filtrage suivant : origine ethnique "Autres ethnies".

Graphique n° 24 : Estimation des relations interethniques au pays. Groupe « Autres ethnies ».
Graphique n° 24 : Estimation des relations interethniques au pays. Groupe « Autres ethnies ».

Nous allons analyser tous les types de réponses à la question sur le caractère des relations interethniques dans le pays. L’opinion qu’elles sont variables selon la situation, s’appuie sur le racisme qui se manifeste parfois, sous la forme de la supériorité d’une ethnie sur une autre :

‘« A l'intérieur de chaque homme il y a du racisme !!! A l'intérieur de moi le racisme est très peu présent ... » H., 22 ans.
« Au Kazakhstan il y a beaucoup de gens de différentes ethnies. La plupart s'entendent bien mais il n'est pas impossible que le racisme, en fonction de la situation, entraine un changement des attitudes ». F., 21 ans.
« Parce que chaque ethnie veut devenir supérieure à une autre. Les relations amicales sont souvent médiatisées pour montrer que tout va bien même si ce n’est pas la réalité ». F., 22 ans.’

Même si les jeunes ne précisent pas quels sont les responsables de ce comportement discriminatoire, à demi-mot nous comprenons qu’il s’agit des Kazakhs. Alors, l’analyse de leurs explications nous fait remarquer leur tendance à estimer négativement le comportement des Kazakhs envers les autres groupes ethniques : les Kazakhs manifestent leur supériorité sur les Russes, Allemands et autres ethnies. Les autres sujets accusent les Kazakhs de manque de respect envers les minorités :

‘« Certains se sentent chez eux (leur patrie) et en sont fiers, ils se considèrent comme l'élite ». H., 20 ans.
« En ce moment, les petits peuples du Kazakhstan sont évincés ». H., 21 ans.
« Tous les gens ne savent pas respecter l'origine ethnique des autres. Par exemple, la plupart des Kazakhs croient que le Kazakhstan leur appartient et qu’il n'y a pas de places pour les autres ethnies (Russes, Allemands etc.) ». F., 21 ans.’

Ces jeunes observent une antipathie entre les groupes ethniques. Ils constatent que, parfois, des gens de même origine préfèrent communiquer entre eux et ne souhaitent pas avoir des relations avec d’autres groupes ethniques. Cet isolement engendre des stéréotypes et des préjugés au détriment des bonnes relations et provoque la méfiance :

‘« Il y a certains groupes de personnes communiquant seulement avec leur ethnie ». H., 17 ans.
« Je pense comme ça car il arrive mais rarement que les représentants d'une ethnie ont de l'antipathie pour l'autre ethnie ». F., 20 ans.
« Les stéréotypes se forment en fonction de l'éducation dans les différentes banlieues de la ville et dans la compagnie d’amis différents ». H., 20 ans.
« La méfiance prend plusieurs formes dans les relations». H., 17 ans.’

La variabilité des relations s’explique donc par la variabilité des situations. Ces jeunes décrivent la situation actuelle où la cohabitation est loin d’être idéale, surtout entre les Kazakhs et les Russes. Ainsi, l’appartenance ethnique peut être une barrière dans les relations et devenir la cause d’une situation conflictuelle :

‘« Quand quelque chose se passe, c'est presque toujours les Russes qui sont accusés ». H., 22 ans.
« Parfois les Russes sont négatifs par rapport aux Kazakhs. Alors, les Kazakhs deviennent aussi négatifs par rapport aux Russes ». H., 21 ans.
« Il existe des situations différentes lorsque l'origine ethnique est une barrière pour les rapports entre les hommes ». F., 23 ans.
« Les relations interethniques sont différentes dans des situations différentes ». H., 18 ans.
« Les situations peuvent être différentes ». H., 17 ans.’

Certains jeunes subissent parfois des agressions (insultes) dans la vie quotidienne. Un jeune homme d’origine juive signale que son appartenance ethnique  provoque l’intolérance : « Parfois quelqu’un se permet de m’insulter en m’appelant la "gueule juive" ». H., 21 ans.

Maintenant, nous allons analyser les réponses qualifiant ces relations d’amicales. Les enquêtés s’appuient sur le fait que les relations amicales et amoureuses interethniques sont très nombreuses au Kazakhstan :

‘« Il y a beaucoup de mariages mixtes ». F., 20 ans.
« Il y a beaucoup de groupes des jeunes mixtes ». F., 20 ans.’

En outre, ils mentionnent l’absence de conflits interethniques dans le pays. Les lieux publics (les établissements scolaires, les boîtes de nuit) sont fréquentés par des jeunes de toutes origines sans qu’il y ait de bagarres se fondant sur l’appartenance ethnique. Ils communiquent et s’entendent très bien ensemble :

‘« Actuellement, il n'y a pas des conflits à cause de l'origine ethnique ». F., 21 ans.
« Je n'ai pas entendu parler de conflits interethniques ». H., 21 ans.
« Parce qu'il n'y a pas de conflits visibles, ni haine entre les hommes, en particulier, entre les jeunes. Souvent, dans les groupes il y a des gens appartenant à différentes ethnies qui vivent en bonne harmonie ». F., 20 ans.
« Puisque tous les jeunes d'origines ethniques différentes fréquentent les mêmes boîtes, les mêmes institutions, ils s’y lient, communiquent ». H., 16 ans.’

Une petite remarque faite par un jeune homme montre une attitude plutôt négative à l’égard de la situation linguistique au Kazakhstan. En fait, malgré sa réponse affirmative sur le caractère amical des relations interethniques, il parle de la langue kazakhe qui devient nécessaire pour obtenir un travail. Il exprime ainsi son mécontentement contre la politique de l’Etat qui impose la connaissance de cette langue. Cependant, il reconnaît l’absence d’oppression des minorités ethniques et c’est pourquoi il estime positivement les relations entre les jeunes dans le pays :

‘« Dans le pays il n'y a pas d'oppression, mais la connaissance du kazakh joue un rôle pour obtenir du travail ». H., 20 ans.’

L’autre argument des enquêtés est leur indifférence de l’origine ethnique. Ils jugent les gens avant tout sur leurs qualités humaines, qui sont essentielles. Le fait d’avoir des amis de différentes ethnies justifie leur position :

‘« J'ai beaucoup d'amis d'origines ethniques différentes ». H., 21 ans.
« Je suis indifférent par rapport à l'origine ethnique de mon ami, l'essentiel est qu'il soit un homme bon». H., 17 ans.
« Peut-être parce que moi-même je suis comme ça. Pour moi l'origine ethnique de l'homme n'est absolument pas importante. L'essentiel est qu'il soit un "Homme" ». F., 16 ans.’

Les premières années après l’indépendance se caractérisaient par le développement du nationalisme et la tension interethnique dans la société. Actuellement, on considère que c’était une grande faute qu’il faut éviter désormais. Une jeune fille rappelle que l’appréciation de l’individu selon ses qualités humaines, sans références à son appartenance ethnique, résulte de l’évolution de la société au cours de ces dernières années :

‘« Avec l’expérience des années passées, on est en venu à la conclusion que le plus important est que l'homme soit bon indépendamment de son appartenance ». F., 18 ans.’

Comme les Kazakhs et les Russes, les enquêtés du groupe « Autres ethnies » apprécient beaucoup la paix et l’entente au Kazakhstan ; ils comparent la situation avec celle d’autres pays, instables politiquement, qui peinent à développer leur économie et à gérer leurs relations interethniques. Ce sentiment est renforcé avec l’observation de l’immigration au Kazakhstan en provenance des pays voisins. Dans les phrases qui suivent nous percevons la fierté d’être citoyen du Kazakhstan et l’identification à la patrie :

‘« Si on considère les exemples des autres pays, alors par rapport à ceux-ci, nous vivons en paix et en bonne intelligence ». F., 20 ans.
« Le Kazakhstan est un pays multinational et nous vivons en accord et en bonne entente ». F., 20 ans.
« Parce que nous sommes tous jeunes et nés au Kazakhstan. C'est notre patrie ;, malgré mon appartenance ethnique, ma mentalité est orientale et kazakhstanaise ». F., 21 ans.’

Pour ceux qui définissent les relations comme faciles, l’appartenance ethnique n’a pas d’influence sur les relations entre les gens :

‘« A mon avis, l'origine n'influe pas sur les relations ». H., 18 ans.
« C’est mon opinion personnelle ». H., 16 ans.’

Selon ces enquêtés, malgré les frictions entre les jeunes, les relations restent faciles. Cependant, ils remarquent qu’elles auraient tendance à se détériorer :

‘« "Chaque année les gens se supportent de plus en plus difficilement les uns les autres, les relations entre les personnes d'origines ethniques différentes deviennent dures, tendues ». F., 20 ans.
« Il y a des frictions entre les jeunes des différentes ethnies mais on peut vivre ». H., 15 ans.
« Je vois qu'il y a beaucoup de gens qui ont de l'antipathie pour les hommes d'autres origines ethniques mais heureusement, ils n'entrent pas en conflits ouverts ». F., 20 ans.’

Cette tension sociale est aggravée par l’appauvrissement d’une partie de la population et la séparation des gens par le niveau de vie : « Parce que parmi les jeunes il y a la séparation selon les classes - riches et pauvres. Mais on peut bien s’entendre ». F., 17 ans.

Les enquêtés restent cependant optimistes malgré les défauts signalés car ils comparent toujours la situation au Kazakhstan avec celle d’autres Etats :

‘« En comparaison avec les autres pays de la CEI ». H., 21 ans. ’

Evidemment, pour les citoyens Kazakhstanais, les pays de la Communauté des Etats indépendants (CEI) sont la référence. Objectivement, le Kazakhstan est leader dans l’espace eurasien. Cela ne signifie pas pour autant que les jeunes ne voient pas les problèmes du Kazakhstan. Mais il leur semble évident que la situation dans leur pays est plus calme et favorable que dans les pays voisins. C’est pourquoi ils apprécient si positivement les relations interethniques.

Certains enquêtés expliquent subjectivement le caractère facile des relations interethniques. Par exemple, un jeune homme d’origine tatare met l’accent sur le fait qu’il n’est jamais victime de discrimination au Kazakhstan : « Par exemple, je suis Tatar. Je n'ai senti aucune hostilité ». H., 21 ans.

En qualifiant les relations interethniques de neutres, les enquêtés pensent qu’elles ne sont ni bonnes, ni mauvaises :

‘« En principe, les relations sont neutres bien que parfois tendues. Mais ça dépend seulement du caractère de l'homme ou de sa personnalité ». F., 21 ans.
« On ne peut pas les appeler "amicales" mais elles ne sont pas "négatives" non plus ». H., 21 ans.
« Parce que je n'observe pas de changements dans les relations entre les jeunes au Kazakhstan ». F., 16 ans.’

La définition du caractère neutre des relations s’explique aussi par l’indifférence des jeunes à l’égard de la question « ethnique ». C’est ils ne remarquent pas de discrimination basée sur l’appartenance ethnique :

‘« Je crois qu'en général, les jeunes ne regardent pas l'origine ethnique de l'homme ». H., 16 ans.
« Je ne sens aucun signe de discrimination selon l'origine ethnique ». H., 16 ans.’

Contrairement aux opinions citées précédemment, ces jeunes trouvent que les relations changent de caractère avec la politique de l’Etat. En fait, ils observent le renforcement de la position de la langue kazakhe, la révision de l’histoire en faveur du peuple kazakh, la célébration des fêtes traditionnelles kazakhes qui évincent les fêtes internationales du passé soviétique. Tout cela, auquel s’ajoute le renforcement de la pratique religieuse, influe sur les relations interethniques, de plus en plus tendues.

‘« Les relations sont trop différentes, probablement c'est lié à la religion et l'éducation ». H., 16 ans.
« Au Kazakhstan, les traditions renaissent, la langue se relève, c'est bien mais pour les Russes c'est difficile. Il y a un peu de séparation raciale. Les relations amicales sont encore présentes, mais elles diminuent régulièrement ». F., 20 ans.’

Comme nous l’avons déjà dit, 10% des enquêtés affirment le caractère tendu des relations entre les Kazakhs et les Russes. Selon eux, cette tension se base sur l’ethnonationalisme de chaque groupe ethnique et s’exprime par des déclarations agressives. Certains enquêtés trouvent que le nationalisme et le racisme sont enracinés chez tous les jeunes :

‘« Depuis la dissolution de l'URSS, des querelles éclatent entre les Kazakhs et les Russes à cause de l'appartenance ethnique : « le Kazakhstan aux Kazakhs et la Russie aux Russes » ». F., 21 ans.
« Il me semble que le nationalisme et le racisme sont inhérents à notre jeunesse ». F., 20 ans.’

Parfois, les enquêtés expriment un sentiment négatif envers tel ou tel groupe ethnique. Ainsi un jeune homme dit : « Il y a trop de Kazakhs ». H., 21 ans.

Donc, les enquêtés sont convaincus que les relations entre les groupes ethniques deviennent plus mauvaises, essentiellement à cause de la tension entre les Kazakhs et les Russes. Les provocations renforcent cette opposition et incitent à l’agression réciproque. Les Kazakhs sont accusés d’opprimer les autres ethnies et de dominer le pays :

‘« J'ai entendu dire que quelque part les Kazakhs ont écrit : "Russes, ne partez pas, nous avons besoin d’esclaves". Après cela, des Russes ont été assassinés à Karaganda ». H., 16 ans.
« Les Kazakhs n'aiment pas les Russes ni les autres Slaves. Ils veulent gouverner le pays eux-mêmes ». H., 16 ans.
« Notre pays est multiethnique et les représentants des différentes ethnies défendent leurs intérêts, demandent qu’on respecte leurs droits ». F., 20 ans.’

Synthèse des résultats

Pour conclure, nous constatons que les enquêtés du groupe « Autres minorités » sont plus modérés dans l’estimation des relations interethniques dans le pays. Ils qualifient le plus souvent ces relations de variables selon la situation. En fait, ces jeunes reconnaissent qu’il existe des problèmes de communication entre les groupes ethniques : manifestations de supériorité d’une ethnie sur l’autre, intolérance envers certaines minorités, voire racisme, principalement de la part des Kazakhs.

Néanmoins, malgré les problèmes existants, 24,4% des enquêtés du groupe « Autres minorités » jugent que ces relations sont bonnes : ils apprécient beaucoup la paix et l’entente qui règnent au Kazakhstan, alors que les pays voisins ont connu récemment des guerres civiles ou des conflits interethniques ; les mariages mixtes, courants dans le pays, et l’amitié entre personnes d’ethnies différentes viennent conforter cette opinion.

En analysant ces réponses, nous avons remarqué une particularité intéressante. En fait, bien que non-russes d’origine, les enquêtés s’identifient plus aux Russes qu’à leur groupe ethnique et élaborent les mêmes stratégies identitaires. Nous supposons que cela s’explique par une identification forte à la culture et surtout à la langue russes. L’appartenance culturelle détermine donc leur identification plus fortement que l’appartenance ethnique et leur statut socio-politique. Cela confirme que, chez les minorités non-russes, c’est l’identité culturelle, plus que leur statut de minorité  qui détermine leur attitude à l’égard des Kazakhs et leur représentation de l’identité nationale.

Synthèse et discussion des résultats

Le tableau suivant montre que les Kazakhs estiment plus positivement le caractère des relations interethniques au Kazakhstan que les Russes et les autres ethnies. En effet le taux des réponses définissant les relations comme amicales est beaucoup plus élevé dans le groupe des enquêtés kazakhs (46,3%).

Tableau 57° : L’estimation du caractère des relations interethniques au Kazakhstan. Les données de l’échantillon total.
Tableau 57° : L’estimation du caractère des relations interethniques au Kazakhstan. Les données de l’échantillon total.

La dépendance est peu significative. chi2 = 23,32, ddl = 16, 1-p = 89,45%.

Attention, 12 (44.4%) cases ont un effectif théorique inférieur à 5, les règles du chi2 ne sont pas réellement applicables.

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en colonne établis sur 371 citations.

Graphique n° 25 : Estimation des relations interethniques au pays. Les données de l’échantillon total.
Graphique n° 25 : Estimation des relations interethniques au pays. Les données de l’échantillon total.

Les sujets des groupes « Russes » et « Autres ethnies » sont plus réservés sur cette question Par exemple, nous avons remarqué qu’ils qualifient les relations de « neutres » plus fréquemment. Cette impression se renforce lorsque nous constatons que la réponse « relations tendues » est plus exprimée par les Russes et les autres ethnies. Les deux groupes estiment donc les relations interethniques plus négativement que les Kazakhs.

Le caractère tendu des relations interethniques laisse supposer qu’un conflit latent peut survenir dans un moment critique. De fait un tiers de tous les sujets, y compris les Kazakhs, caractérisent les relations comme variables selon la situation. Par exemple, dans la catégorie « Autre réponse », les Russes affirment que les relations interethniques comportent « une discrimination raciale cachée ».

Ainsi, nous pouvons conclure que la plupart des enquêtés estiment positivement les relations interethniques actuelles. En même temps, ils précisent que leur caractère dépend beaucoup (à un degré important) de la situation concrète. Tous les groupes reconnaissent qu’il y a des problèmes dans les différents domaines de la vie sociale au Kazakhstan. Cependant, chaque groupe ethnique a sa propre représentation de ces problèmes. Par exemple, les Kazakhs se représentent le comportement discriminatoire autrement que les autres groupes. Les réponses similaires des Russes et des autres ethnies minoritaires laissent supposer que l’identification culturelle de chaque groupe détermine ses stratégies identitaires.