10.2.1.L’analyse des résultats de l’échantillon total

La majorité des jeunes dans tous les groupes ethniques trouve que les relations interethniques au Kazakhstan sont bien gérées : 55,8% de réponses « bien gérées », chez les Kazakhs, 54,3% chez les Russes et 55,6% chez les autres ethnies, donc un peu plus de la moitié des enquêtés. Ils approuvent donc la politique intérieure de l’Etat.

Tableau 58°. Estimation de la gestion des relations interethniques au Kazakhstan.
Tableau 58°. Estimation de la gestion des relations interethniques au Kazakhstan.

Les valeurs du tableau sont les pourcentages en colonne établis sur 371 observations.

Graphique n° 26 : Estimation de la gestion des relatons interethniques au pays. Les données de l’échantillon total.
Graphique n° 26 : Estimation de la gestion des relatons interethniques au pays. Les données de l’échantillon total.

Cependant, les sujets kazakhs estiment plus positivement la gestion de ces relations que les Russes et les autres minorités. Le pourcentage des réponses estimant « très bien » la gestion des relations interethniques s’élève à 24,2% chez les Kazakhs, à 10,8% chez les Russes et à 10,0% pour les autres ethnies. Il faut souligner que tous ces résultats sont significatifs.

Le groupe « Autres ethnies » apprécie moins les relations interethniques que les Kazakhs et les Russes. Cette tendance est plus évidente si on examine le pourcentage des réponses négatives : 4,2% chez les Kazakhs, 16,1% chez les Russes, et surtout, dans le groupe « Autres ethnies », il atteint 20%.

L’analyse des données du tableau établit une corrélation entre les résultats des « Russes » et ceux des « Autres ethnies ». En particulier, les pourcentages des réponses négatives à la question posée  sont très voisins. Ils sont plus critiques à l’égard de la situation dans le pays, où ils se sentent opprimés par la politique officielle de kazakhisation, qu’ils considèrent comme discriminatoire « dans une kazakhisation non pas linguistique mais ethnique 333  » (M. Laruelle, S. Peyrousse, 2004). Selon eux, elle est imposée dans les différents domaines de la vie active (administration, système d’enseignement, politique linguistique) dans le but d’exclure de la sphère publique les personnes d’origine non-kazakhe.

Ainsi, cette politique engendre un sentiment d’exclusion chez les jeunes non-kazakhs et renforce leur sentiment de rejet de l’Etat. Ce sentiment s’exprime dans leurs réponses à certaines questions ouvertes de notre enquête, à propos de la discrimination dans la vie quotidienne. En effet, « le sentiment d’exclusion se construit, […], à partir des expériences journalières – réelles ou ressenties – de rejet, d’inégalité, de non-reconnaissance et de discrimination 334  » (A. Amin, 2007).

Plusieurs auteurs mettent l’accent sur la nature plurifactorielle de la discrimination (Dois, 1979 ; Billig, 1984 ; Borillo, 2003 ; Ferréol & Jucquois, 2003). M. Billig remarque qu’en analysant ses causes, il faut « sortir du cadre purement psychologique pour conduire à l’analyse du pouvoir, en particulier […] politique ou économique 335  ». C’est pourquoi nous en étudions les différents aspects, à notre avis importants, pour comprendre les origines de ce phénomène au Kazakhstan. Donc, « on doit plutôt insister sur la prise en compte des variables politiques, économiques, culturelles ou institutionnelles, dans les enquêtes et lors des expérimentations sur les préjugés » (Borillo, 2003)336. En analysant leurs idées sur la nature complexe de la discrimination, nous constatons que le sentiment de rejet des Russes est renforcé par la perte de leur statut dominant dans le pays. Nos recherches prennent en compte ce facteur purement psychologique. Il y a donc dans leur cas une combinaison de facteurs socio-historique, politique et psychologique.

Nous expliquons la conformité des réponses du groupe « Autres ethnies » sur l’inégalité dans la société avec celles des Russes, par leur appartenance à la même culture russophone. On peut alors se demander pourquoi les Kazakhs ne partagent pas l’opinion des Russes et des autres ethnies, sur l’inégalité dans la politique linguistique par exemple. Dans notre échantillon, il y a quand même 19% des enquêtés kazakhs russophones qui ne connaissent pas du tout ou parlent très mal leur langue d’origine (voir le tableau :Connaissance de la langue d’origine), et 11,6% qui considèrent le russe comme leur langue maternelle ! (voir le tableau : Critères d’identification de la langue maternelle). En fait, si les Kazakhs russophones ne partagent pas ce sentiment d’injustice c’est parce que leur ignorance du kazakh est compensée par leur statut dominant dans le pays. L’appartenance à l’ethnie « titulaire » donne aux Kazakhs un statut privilégié et des avantages dans la sphère publique.

C’est pourquoi les enquêtés non-kazakhs pensent que la politique linguistique de l’État a pour but de favoriser l’ethnie Kazakh au détriment des autres ethnies. Ainsi, ils ont l’impression que « la non-connaissance de la langue kazakhe n’est qu’un moyen « politiquement correct » d’exclure les ressortissants des différentes minorités des postes politiques et administratifs 337  » (M. Laruelle, S. Peyrousse, 2004).

Notes
333.

M. Laruelle, S. Peyrousse (2004) Les Russes du Kazakhstan. Identités nationales et nouveaux États dans l’espace post-soviétique, Paris, Maisonneuve & Larouse, p. 133.

334.

A. Amin (2007) Dynamique interculturelle et processus d’interculturation : Représentations, identifications et sentiment d’exclusion, thèse du doctorat du 3ème cycle, l’Université Lumière Lyon 2, p. 253.

335.

G. Ferréol, G. Jucquois (2003) Dictionnaire de l’altérité et des relations interculturelles, Paris, A. Colin, p.95.

336.

Ibid.

337.

M. Laruelle, S. Peyrousse (2004) Les Russes du Kazakhstan. Identités nationales et nouveaux États dans l’espace post-soviétique, Paris, Maisonneuve & Larouse, p. 136.