L’approche méthodologique actionnelle dans l’enseignement des langues.

Au cœur du titre de notre travail se trouve le terme agir qui joue un rôle crucial dans des théories didactiques modernes.

Le verbe « agir » (lat. agere) signifie « s’exprimer par des actes, intervenir en passant à l’action». En littérature ou en didactique, il a une acception de « faire agir, animer ». A son tour, « faire agir » veut dire produire un effet sensible, exercer une action, une influence  réelle.12

Des verbes substantivés ont la vertu de garder toutes les caractéristiques verbales, mais sous une forme encore plus intense. Nous dirons ainsi que l’agir signifie « une expression par des actes, l’action elle-même », « la production d’un effet, d’une influence sur l’autrui », « l’incitation à une action, l’organisation de celle-ci ». Il s’agit par conséquent d’une action bilatérale: l’un produit un effet sur l’autre (ou les autres), l’(es) influence, l’(es) entraîne dans une action, en se rajustant constamment en fonction des « feed-back » reçus de ce (ces) dernier(s).

Des éléments centraux du réseau conceptuel de l’agir sont les notions d’activité, d’action, de typification, de planification, et d’intention.13

A ce jour-ci, on ne dispose pas d’une théorie unifiée de l’agir humain, mais de « théories de l’action » multiples, adaptées à telle ou telle discipline.

Aujourd’hui, le fait que l’appropriation de la parole étrangère se fait en inter-action, à travers la co-construction du discours, est indiscutable, qu’il s’agisse d’un apprentissage organisé ou d’une acquisition naturelle.

Or il s’agit de mettre en œuvre pour l’apprentissage, l’enseignement et la recherche les méthodes que l’on considère les plus efficaces pour atteindre des objectifs convenus en fonction des apprenants concernés dans leur environnement social.14

Un outil méthodologique matérialisant les conceptions de la perspective actionnelle et de la compétence à communiquer langagièrement est la tâche 15 . C’est une catégorie large, pertinente aussi bien pour décrire les usages sociaux des langues que l’organisation de leur enseignement. Ce terme est systématiquement associé à activités (d’interaction, de réception, de production, etc.), c’est-à-dire à des formes de la communication verbale. Il importe de ne pas dissocier le complexe tâches/activités-stratégies-textes pour organiser la classe de langue, puisque toute tâche y implique des stratégies pour traiter les textes.

Au sens large, tâche comporte un sens de devoir faire, qui ne comporte pas le terme activité. Dans l’enseignement par tâches, le terme tâche est utilisé comme une unité minimale d’analyse au niveau des objectifs (syllabus), à celui des activités d’enseignement (méthodologie) et à celui de l’évaluation. À ces trois niveaux, tâche renvoie au fait que les objectifs fixés pour un cours de langue étrangère sont, d’abord et avant tout, dérivés d’une analyse des raisons qui conduisent à étudier une langue (tâche cible); les apprenants acquièrent la compétence à réaliser les tâches cibles si on leur demande (et on les motive) à s’essayer à les réaliser effectivement (elles ou des tâches similaires, dites alors tâches pédagogiques). 16

Une tâche est un ensemble d’actions réalistes qui donnent lieu à une production langagière « non scolaire ».17 La tâche est une activité cohérente et organisée, ce qui permet d’assurer un repérage efficace, si par repérage on entend la perception et la compréhension des écarts dans L2, ou entre L1 et L2, ou entre ce qui a été produit et ce qui était attendu. Elle est interactive ou pas, mais elle inclut la gestion du sens en lien avec le monde réel, avec un objectif défini, et le résultat pragmatique obtenu prime sur la performance langagière . Pour que la réalisation de tâches fasse véritablement sens dans le contexte scolaire, J.-C. Beacco propose d’adopter la pédagogie du projet (une méthode éducative des années 1980) dont la finalité est de faire réaliser collectivement et effectivement un produit qui n’est pas nécessairement langagier, sans fragmenter la langue en grammaire, vocabulaire, prononciation, etc. Les apprenants sont ainsi amenés à travailler en semi-autonomie et à définir de facto leurs objectifs et leurs besoins. La priorité est accordée au produit et non aux acquis langagiers. L’approche actionnelle de l’enseignement des langues amène donc à suspendre toute considération systématique de niveau (de maîtrise de compétence).

A un niveau plus concret, résumons qu’afin de réaliser des tâches de communication, les usagers de langue doivent s’impliquer dans des activités langagières communicatives. Il s’agit de l’enseignement par compétences orienté vers les actions que l’élève devra être capable d’effectuer après apprentissage.

Le Cadre européen commun de référence pour les langues (le CECR) analyse la compétence à communiquer langagièrement en trois composantes dites compétence linguistique, compétence sociolinguistique et compétence pragmatique; celles-ci sont mises en jeu dans la réalisation d’activités langagières dites de réception (compréhension orale/compréhension écrite), de production (production orale/production écrite), d’interaction et de médiation.

Or l’approche actionnelle insère l’aspect langagier dans un ensemble plus large: elle considère l’usager et l’apprenant d’une langue comme des acteurs sociaux ayant à accomplir des tâches qui ne sont pas seulement langagières. Le modèle de langue étrangère enseignée s’insère dans un agir s’imposant comme objectif final. Délaissant l’idée classique de progression, on subordonne dorénavant les contenus langagiers à la nécessité programmatique imposée par « l’acte de parole » à réaliser.18 Ainsi, on ne vise guère à développer chez l’apprenant une relation à la langue, mais une relation à l’autre, ce partenaire indispensable à la construction de la langue comme outil de l’action commune.

L’approche méthodologique actuelle considérant l’acte de langage comme une sorte d’action, d’influence verbale et non verbale sur l’(les) interlocuteur(s) dans des buts précises nous intéresse du point de vue de la formation professionnelle des enseignants de FLE. Il s’agit d’analyser une action formative.

Le discours pédagogique est en fait un discours polyphoniqueau cours duquel les participants exécutent d’abord leur rôle de « communicant didactique » induit par leur position institutionnelle. L’énonciateur-enseignant et les énonciateurs-apprenants accomplissent leurs tâches communicatives liées au rôle institutionnel et produisent des énoncés dont ils ne sont pas auteurs. Simultanément, ils produisent des paroles qui portent des marques personnelles et qui renvoient à leurs interrelations. Dans les polylogues pédagogiques analysés dans le présent travail, le respect mutuel se construit conjointement avec l’activation d’un principe de coopération dans l’accomplissement de la tâche.

La classe de langue est un lieu didactique où l’enseignant fait de son mieux pour créer des conditions favorables permettant aux apprenants d’exprimer leur subjectivité, leurs opinions, de parler de leur vécu. A part des facteurs purement objectifs (un niveau insuffisant des savoirs et de savoir-faire langagiers), c’est une hiérarchisation assez marquée des relations « enseignant-apprenant(s) » qui peut plus ou moins freiner ces efforts de l’enseignant. Quoique lors des contacts de ce dernier et de ses étudiants, les deux parties évoluent mutuellement, chacune à sa façon, ce qui s’avère finalement utile pour tous.

Les spécialistes de l’enseignement des langues (F. Cicurel, D. Véronique) s’orientant vers le concept d’action , distinguent la « tâche prescrite » et « l’activité réalisée » et portent une attention centrale à l’exercice effectif.

L’habileté de l’enseignant à rendre motivant tous les exercices et tous ses moyens d’enseignement, sert à former chez ses étudiants une réaction générale positive (l’intérêt, la compréhension mutuelle) concernant le processus d’apprentissage. La communication étant un événement dynamique, il ne suffit pas que l’enseignant délimite les situations de base, les techniques, il est indispensable également que chaque apprenant soit motivé de construire par son intelligence et sa liberté.

Notes
12.

Le Nouveau Petit Robert, op. cité, p.49.

13.

FILLIETAZ L., « Mise en discours de l’agir et formation des enseignant. Quelques réflexions issues des théories de l’action », dans: Le Français dans le monde. Les Interactions en classe de langue, juillet 2005, p.p.20-31.

14.

Cf. BEACCO J.-C., « Tâches ou compétences? »,dans: Pradal F. (réd.), Le Français dans le monde, n° 357, mai-juin 2008, p.p.33-35.

15.

Cadre européen commun de référence pour les langues, 2001, Didier. Consultable à : http://www.coe.int/T/DG4/Portfolio/documents/cadrecommun.pdf

16.

Idem, p.34.

17.

ELLIS R., Task based Language Learning and Teaching, Oxford University Press, Oxford, 2003, p.3.

18.

BOYON J.,« Entre FOS et français général », dans: Pradal F. (réd.), Le Français dans le monde, n° 357, 2008, p.p.36-38.