La relation natif-alloglotte en milieu social est certes aussi une relation dissymétrique. Mais elle ne comporte pas cette caractéristique naturellement pédagogique qu’on trouve, par exemple, entre mère et enfant. Elle est seulement communicative. Le guidance s’exerce donc en premier lieu au niveau de l’intercompréhension. Sauf s’il est question d’un contrat spécial, explicite ou tacite19, et, à plus forte raison, institutionnalisé.
Tout contrat sous-entend une convention par laquelle une ou plusieurs personnes s’obligent envers une ou plusieurs autres personnes à faire ou à ne pas faire quelque chose (article 1101 du Code civil); c’est une traduction juridique de la liberté du vouloir, l’expression de l’accord de deux volontés qui se reconnaissent et se respectent mutuellement.20
Toute situation pédagogique implique un contrat implicite ou explicite. En effet, l’aide à l’apprentissage se développe en général sur une base d’aide à l’intercompréhension et l’aide à la compréhension s’effectue souvent dans le cadre interactif d’un contrat didactique. Ce dernier a lieu, lorsqu’une ou plusieurs personnes ont la responsabilité de rendre possible chez d’autres personnes des processus d’apprentissage de la L2. Les deux parties sont averties de ce type de rapport, dans la mesure où elles l’ont défini au préalable, même de manière plus ou moins tacite.21 Au sens de Brousseau (1998), le contrat didactique est compris comme un système d’attentes entre le professeur et les élèves; il se fonde sur un ensemble d’habitudes d’action qui lui donne sa dimension pérenne. Néanmoins, le contrat recèle une part négociable, en partie fonction du milieu, qui fait qu’il ne peut se définir complètement a priori.22
On appelle aussi contrat didactique le contrat implicite qui lie en situation naturelle le natif et le non-natif désireux d’apprendre la langue en question.23
P. Bange 24 affirme que l’engagement dans l’apprentissage n’a rien de naturel ni de spontané chez un non-natif. L’apprentissage est un but que peut se donner (ou ne pas se donner) le locuteur non-natif. Il faut ainsi bien distinguer entre les deux rôles: celui de locuteur non-natif et celui d’apprenant, même si ces deux rôles sont assumés par la même personne et si la distinction n’est pas toujours claire et si elle est instable. En tout cas, ce choix d’apprendre ne peut que laisser des traces dans l’interaction et le discours collectif élaboré par les deux partenaires.
La communication est un échange rituel. Toutes les compétences mises en jeu (verbales, non-verbales, psychologiques, culturelles) obéissent à des rituels qui cadrent les formes d’interaction.
Les enseignants de FLE en Russie partagent avec leurs apprenants la même langue maternelle et la même culture; en même temps, ils sont insérés dans un système éducatif, social et culturel non français. La « culture » du FLE devient un objet d’enseignement parmi tant d’autres, simplement susceptible d’être étiqueté et noté en tant que tel (« langue et civilisation »). Les apprenants russes évoluent dans un système de pratique et de pensée leur étant familier mais différent de celui où ils doivent apprendre à vivre.
Dans le contexte de langue seconde, le non-natif fréquentant une école française se trouve socialisé dans la culture et une communauté de pratique françaises (ou, plus exactement, dans une certaine réalité socioculturelle de la France). L’utilisation de la L2 dans un contexte de langue seconde sert réellement à prendre part aux activités de la communauté des locuteurs de cette langue, à en devenir membre. Dans un contexte de langue étrangère par contre, le cadre de participation dans la L2 est autre: même les activités les plus impliquantes, par lesquelles les apprenants poursuivent des visées communicatives dans la L2, relèvent toujours du « faire semblant » d’avoir besoin de communiquer. La classe de langue étrangère est toute entière un « faire semblant » continu, un « faire la démonstration » en vue d’ « une communication réelle » qui ne deviendra telle que lorsqu’il sera nécessaire d’utiliser la L2 pour réaliser des objectifs extralinguistiques.25
Sur le plan strictement linguistique, les usages de la langue étrangère en classe et de la langue seconde sont décontextualisés, au regard des usages dans des contextes « naturels », c’est-à-dire extérieurs à la classe. Alors que dans le contexte d’apprentissage de langue seconde, les cours dans et sur la L2 peuvent transmettre, indirectement et souvent à l’insu des participants, des notions complexes sur la culture de ses locuteurs, il en va autrement dans les contextes où la langue objet du contrat didactique est autre que celle de la communauté environnante.
Dans les classes de langue où l’approche naturelle est mise en œuvre, c’est bien toujours un enseignant qui guide ses étudiants, mais de sorte qu’ils gardent toujours leur propre initiative et qu’ils se sentent personnellement impliqués dans le processus d’apprentissage.26 L’implication est un processus qui se passe quand le sujet/apprenant se rapproche du sujet/personne. 27 L’implication est généralement basée sur des activités naturelles propres à la classe de langue et non pas sur un apport sophistiqué des situations étrangères à une ambiance authentique d’apprentissage. Ceci résume notre concept du naturel didactique .
PY B., « Les Stratégies d’acquisition en situation d’interaction », dans: Gaonac’h (dir.), Acquisition et utilisation d’une langue étrangère, Paris, Hachette, 1990, p.p.81-88.
CUQ J.-P. (dir.), Dictionnaire de didactique du français langue étrangère et seconde, Paris, Clé International, 2003, p.p.54-55.
DE PIETRO J. F., MATTHEY M. et PY B., « Acquisition et contrat didactique: les séquences potentiellement acquisitionnelles dans la conversation exolingue », dans: Weil D. & Fugier H. (dir.), Actes du Troisième Colloques Régional de Linguistique, Strasbourg, Université des sciences humaines et Université Louis Pasteur, 1989, p.p.99-124.
MARLOT C., « Rendre lisible le dessin d’observation: un exemple en découverte du monde vivant en classe de CP », dans: Chnane-Davin F. et Cuq J.-P. (coord.), Le Français dans le monde. Du Discours de l’enseignant aux pratiques de l’apprenant, n°44, juillet 2008, p.125.
CUQ J.-P. (dir.), Dictionnaire de didactique du français…, op. cité, p.55.
BANGE P., « À propos de la communication et de l’apprentissage… », op. cité, p.p.53-85.
PALLOTTI G., « La Classe dans une perspective écologique de l’acquisition », dans: AILE, juillet 2002, p.185.
Voir, par exemple, PALLOTTI G., « La Classe dans une perspective…», op. cité, p.181.
Voir LAUGA-HAMID M. C., « L’Implication du sujet dans son apprentissage », in Variation et rituels en classe de langue, LAL, Paris, Crédif-Hatier, p.p.59-68.