Les distinctions entre l’apprentissage guidé et l’acquisition naturelle

Dans divers contextes d’appropriation d’une langue étrangère (LE), pour différentes personnes, les buts finales et par conséquent les degrés de maîtrise de ses formes (écrite et orale) et de son système de savoirs théoriques peuvent différer considérablement. En fait, le terme d’appropriation est employé comme hypéronyme par certains didacticiens et psychologues qui souhaitent neutraliser la dichotomie acquisition/apprentissage.38 L’appropriation désigne l’ensemble des conduites de l’apprenant, des plus conscientes et volontaires (ce que d’autres appelleraient apprentissage) aux moins conscientes (ce que d’autres appelleraient acquisition). L’acquisition est aussi associée à milieu naturel, tandis que l’apprentissage s'assortit à milieu institutionnel. Pourtant, du point de vue didactique, il est utile de distinguer ces deux notions.

La distinction du guidé/non-guidé est aujourd’hui également soumise à la discussion.

Selon B. Apfelbaum,39 la classe devrait être considérée comme partie de contextes socioculturels plus larges, ce qui conduit à poser l’acquisition de la langue comme forme de socialisation et à montrer la complexité et les limites de la distinction traditionnelle langue étrangère/langue seconde.

La relation fondamentale qui distingue une classe de langue d’autres milieux d’acquisition est celle de « contrat didactique ».40 Bien qu’en situation naturelle, il soit également possible de parler de l’existence d’un contrat implicite.

Selon Mondada 41, la classe de langue se distingue de la situation exolingue dans laquelle les catégories d’ «expert » ou de « non natif » ne se définissent d’une manière générale que dans et par des interactions, par le fait que les catégories de « professeur » et d’«apprenant » sont dans une large mesure déterminées par les statuts que confère le contexte institutionnel aux participants. Les deux parties acceptent volontiers de jouer leurs rôles établis. Sauf qu’il y a certains moments, lorsqu’un échange de statuts momentané a lieu: l’enseignant peut se catégoriser temporairement comme demandeur d’information, en formulant la question, ce qui permet à (aux) l’apprenant(s) de se comporter comme « fournisseur(s) d’information ». Toutefois, l’examen de l’organisation interactionnelle, tant locale (la sélection des tours de parole) que globale (la gestion des ouvertures, développements thématiques et clôtures), montre que les interlocuteurs, apprenants et enseignant, ne sont en rien interchangeables, comme c’est le cas dans les conversations ordinaires. On note, par exemple, peu d’interventions auto-sélectionnées des apprenants et les clôtures sont la prérogative de l’enseignant.42

Le type de relations entre l’enseignant et ses apprenants est défini comme asymétrique. Cette hiérarchie (verticale et horizontale)43 peut être plus ou moins accentuée selon la (les) culture(s) d’origine des interlocuteurs, leurs traditions d’enseignement, le niveau d’apprentissage et de l’intensité de l’engagement des différents protagonistes.

En classe de langue, on communique pour apprendre à communiquer. La composante métalinguistique est ainsi un élément constitutif de ce type de communication. Les apprenants attendent de l’enseignant qu’il leur assure la compréhension et la transmission des savoirs. Ce dernier se sert de différentes stratégies pour orienter l’attention des apprenants sur le contenu thématique, objet de la communication, et se focaliser en même temps sur un élément de la langue étrangère qu’il considère comme important du point de vue de la construction des savoirs linguistiques. Il y a un va-et-vient constant entre une focalisation centrale qui a un but thématique d’un côté et une focalisation périphérique sur la réalisation des activités communicatives de l’autre. A la différence du milieu dit « naturel », dans lequel les interactants sont tenus de réagir d’une manière imprévisible, les acteurs d’un groupe d’apprentissage ont à parler de la langue et à catégoriser cette dernière comme étant difficile à comprendre ou à faire comprendre à l’autre, nécessitant des reformulations ou des explications. Le milieu d’apprentissage guidé est un lieu dans lequel les activités métalinguistiques sont institutionnellement légitimées. La langue y est catégorisée comme l’objet à enseigner par l’institution; les faits linguistiques à enseigner sont rangés et catégorisés par un programme d’enseignement préétabli – ou établi par l’institution – et par le manuel choisi, de telle manière que les apprenants rencontrent le moins de problèmes possible lors de l’apprentissage.

Une des spécialités constitutives de la classe de langue est, tout à la fois, de doser, de sélectionner et de densifier les données proposées au travail des apprenants. Avec un temps d’exposition et de pratique généralement limité. Il s’agit en résultat, par divers modes d’évaluation, d’apprécier et de consolider les progrès dans la maîtrise de la langue apprise, notamment du français. L’évaluation doit servir à proposer les possibilités concrètes d’auto-perfectionnement.

Notes
38.

Idem, p.p. 25-26, 12.

39.

PALLOTTI G., « La Classe dans une perspective… », op.cité, p.165.

40.

Voir ci-dessus, la page 20.

41.

Voir: MONDADA L., « L’Accomplissement de l’«étrangéité » dans et par l’interaction: procédures de catégorisation des locuteurs », dans: Langages, n°134, p.p. 20-34.

42.

CARLO C., « Le « Naturel didactique » …, op.cité, p.110.

43.

KERBRAT-ORECCHIONI C., La Conversation, Paris, Seuil, 1996, p.p.41-49.