La spécificité de l’enseignement de la communication authentique en français à l’université pédagogique russe

Nous nous sommes investis dans l’analyse de l’agir de l’enseignant dont le but est de travailler la parole – orale et écrite – de futurs professeurs de FLE. La mission ultime du premier est de faire acquérir à ses apprenants les savoirs disciplinaires et les moyens de leur mise en pratique, ainsi que – et surtout – des composantes sociolinguistiques et pédagogiques, leur présenter des connaissances sur le fonctionnement et les particularités d’un système éducatif, sur les modalités d’évaluation stimulant le désir de s’auto-perfectionner et amenant progressivement à la faculté d’autoévaluation. La présence de cette dernière chez le professeur débutant lui permettra de guider ses propres apprenants dans leurs premiers pas vers l’autoévaluation qui est à l’origine de tout progrès.

Les futurs enseignants de FLE doivent se familiariser parfaitement avec la communication authentique en français sous tous ses styles et registres, tout en respectant la norme de la langue qui n’est jamais définitive, se forme au cours de la parole même et est codifiée dans toute sorte de grammaires, de manuels, de dictionnaires. De même que d’assimiler la culture française qui détermine tout acte de communication authentique.

Le fait d’accorder la priorité à la norme manifeste de la part du sujet une volonté d’assimilation sociale, une « attitude intégrative » vis-à-vis de la communauté de locuteurs de la langue cible.49 La maîtrise de la norme est aussi capitale pour les enseignants de langue qui servent de modèle à leurs apprenants dans une situation exolingue.

Aujourd’hui, la situation s’améliore dans le sens où l’enseignant universitaire obtient, chaque année, « en renfort » un(e) assistant(e) de langue remplissant des fonctions d’un locuteur natif. Il s’agit ainsi d’un milieu hétéroglotte et d’une situation exolingue (les niveaux de maîtrise du français de l’enseignant et de l’assistante ne sont pas équivalents à celui de leurs étudiants). En même temps, le français véhiculé par l’assistante et par l’enseignant peut respectivement être qualifié comme celui du natif/non natif. L’oral de l’enseignant restera, malgré tous ses efforts, une interlangue très rapprochée du français authentique. De plus, nous pouvons parler d’une combinaison des situations exolingue et bilingue, puisque l’enseignant et ses apprenants acceptent en cas de besoin de recourir à leur langue maternelle - le russe – qui leur permet de surmonter certaines difficultés d’intercompréhension ou de procéder à des hétérocorrections et d’assurer ainsi une progression permanente dans l’appropriation du FLE. Autrement dit, tout en s’appuyant sur un contrat didactique, l’enseignant réalise des stratégies d’enseignement bien déterminées, visant à trouver les itinéraires de passages les mieux appropriés de L1 à L2. La situation exolingue didactique est donc inscrite et gérée dans une relation apprenant/enseignant, où se trouve posée une frontière entre ce qui est (jugé) conforme ou non à la langue cible. Il s’agit en fait d’acquérir la norme de la langue servant d’instrument professionnel.

Dans ce contexte, il est à préciser que les normes de l’oral et de l’écrit se complètent mutuellement. D’une part, il s’agit de réactions immédiates, spontanées, souvent inachevées et d’autre part, de réactions de longue durée, soignées, régies par des règles de grammaire. A l’oral, nous disposons – à la différence de l’écrit - de moyens para- et non-verbaux. Dans la présente étude, nous n’avons pas pu, malheureusement, tenir compte de ces derniers, puisque nous avions à notre disposition seulement des enregistrements audio des dialogues.

Un développement vertigineux des moyens de communication électronique a fait apparaître une nouvelle tendance: il a accéléré le processus d’infiltration du style oral dans le domaine de l’écrit, même scientifique et publicitaire. Des abréviations facilitant la communication électronique, sont réunies sous le terme d’émailismes: A+ (à plus tard), Bancat (n° de carte bancaire).

Dans notre étude de l’enseignement/apprentissage de l’oral en français, nous avons toujours tenu compte de son lien quasi-inséparable avec l’écrit, leurs influences mutuelles en pratique. L’interaction pédagogique elle-même est préparée par écrit et vise souvent une prise de notes effectuée sous la dictée le cas échéant.50 Ensuite, cette même interaction pédagogique peut-être analysée grâce à sa transcription écrite. Le manuel, le programme sont aussi des écrits de référence indispensables pour l’enseignement/apprentissage de l’oral. Même les normes linguistiques de référence de l’enseignant sont celles de l’écrit: le rituel pédagogique privilégie la manifestation maximale de l’usage normatif. Des évaluations métalinguistiques portent sur le recours à cette norme de l’écrit.

Le 14 mars 2008, les 41 e Rencontres ASDIFLE ayant eu lieu à l’Alliance française de Paris se sont focalisées sur la redéfinition des normes à proposer aux apprenants de français en France et hors de France, compte tenu de la diversification des situations langagières actuelles, tant à l’oral qu’à l’écrit, avec les variations dues aux lieux, institutions, tâches, interactions, etc.51 On a une approche différente des normes, selon qu’on se situe dans l’apprentissage, dans l’évaluation, dans la certification, etc. Les représentations, avec leur part institutionnelle, en particulier dans le domaine du français, du côté des apprenants comme des enseignants, forment le domaine des normes invisibles. Le français langue professionnelle crée ses propres normes en s’appuyant sur les usages. La variété des situations d’apprentissage sous-entend l’existence de la diversité des normes.

En même temps, cette attitude instrumentale – le besoin d’être efficace – et le souci de préserver une certaine différence linguistique et culturelle par rapport à ses interlocuteurs natifs potentiels, fait à l’étudiant de l’université pédagogique russe reconnaître aussi la priorité à la tâche; dans ce cas, le sujet a pour aspiration à devenir bilingue ou biculturel.52 Une altérité oriente les activités des apprenants, en stimulant leur imagination, leurs facultés cognitives.

Dans la perspective de l’enseignement/apprentissage de la langue comme objet/sujet professionnel – pour les enseignants de langues – la tâche ou activité langagière occupe une place centrale. La notion de tâche sous-entend que les locuteurs sont placés dans les conditions variables, nécessitant la production finalisée de différents genres de discours. Pour cela, ils actualisent leurs capacités langagières de façon diversifiée. La variation est ainsi considérée comme « …le reflet d’une capacité d’adaptation du locuteur à des contextes de production différents ».53 Certaines tâches s’avèrent plus difficiles ou plus aisées pour tout locuteur, qu’il soit apprenant de L1 ou de L2.

Le CECR ayant pour premier objectif d’harmoniser l’enseignement des langues en Europe afin de faciliter la circulation des citoyens, a proposé une orientation résolument pragmatique: les langues doivent permettre de communiquer, de travailler, de négocier, de résoudre des problèmes posés par des situations concrètes. Ce document considère tout usager et l’apprenant d’une langue comme acteursocial ayant à accomplir des tâches (qui ne sont pas seulement langagières) dans des circonstances et un environnement donné, à l’intérieur d’un domaine d’action particulier. Les rédacteurs du CECR insistent, en ce qui concerne l’évaluation, sur la capacité effective à communiquer et à agir, plutôt que sur un simple contrôle des connaissances hors contexte social.

Cela n’empêche pas qu’en classe de langue étrangère, l’attention reste encore plus ou moins tournée vers l’acquisition des formes, qui va du commentaire grammatical explicite et de l’exercice structural systématique jusqu’aux usages moins contrôlés de la langue, où l’attente de l’enseignant et des apprenants demeure toutefois que ces activités laisseront (indirectement) quelques traces dans le système interlinguistique de ces derniers.

Notes
49.

PY B., « L’Apprenant et son territoire… », op. cité, p.42.

50.

BOUCHARD R., « Le « Cours », un évènement oralographique structuré. Etude des interactions pédagogiques en classe de langue et au-delà », dans: Le Français dans le monde. Les Interactions en classe de langue, juillet 2005, p.65.

51.

NJIKÉ J. et BERCHOUD M.,« En Direct des associations. Colombie, France, Cambodge », dans: Pradal F. (réd.), Le Français dans le monde, n° 357, mai-juin 2008, p.11.

52.

PY B., « L’Apprenant et son territoire… », op. cité, p.53.

53.

DE WEEK G., « Erreurs, normes et tâches dans l’acquisition de L1 et en pathologie du langage », dans: Gajo L., Matthey M., Moore D. & Serra C. (eds.), Un Parcours au contact des langues. Textes de Bernard Py commentés, Paris, Didier, 2004, p.76.