1. 3. La notion de norme dans la formation de futurs enseignants de français en Russie

La norme provenant du latin norma « équerre », « règle », est «ce qui dans la parole, le discours, correspond à l’usage général».117 La notion de norme est opposée d’une part à système, d’autre part à discours. Le système présente un « ensemble de pratiques, de méthodes et d’institutions formant à la fois une construction théorique et une méthode pratique »118, et le discours sous-entend tout «énoncé linguistique observable (phrase et suite de phrases prononcées; texte écrit), par opposition au système abstrait que constitue la langue ».119 Il ne suffit pas d’enseigner la langue, mais plutôt « à propos de la langue ». Il est à faire la différence entre le système (qui postule une compétence linguistique) et l’emploi (qui postule une compétence de communication). Ce qui signifie qu’en tant qu’outil de communication, la langue est pleinement reconnue comme pratique sociale.120

Pour les méthodes traditionnelles, l’écrit était la norme, le modèle à suivre. Au moment de l’« audio-visuel intégré » la communication était réservée à l’oral, devenu ainsi prioritaire dans les objectifs d’enseignement. Aujourd’hui il est important de ne pas opposer un oral « en situation » à un écrit « hors situation », car, selon S. Moirand,121 « nous sommes amenés à produire et, plus souvent encore, à interpréter chaque jour différents types de discours soit écrits, soit oraux, dont la pluralité n’a d’égale que celle des situations d’oral ou d’écrit qui les engendre ». C’est pourquoi J. Peytard préfère parler de deux ordres différents: l’ordre oral et l’ordre scriptural.122

La norme peut avoir plusieurs variantes. Par exemple: rendre quelqu’un heureux — faire quelqu’un heureux; maintenant — se prononçant avec et sans [ə] au milieu du mot; Quand rentres-tu ? — Tu rentres quand ? L’une des variantes peut être plus rapprochée à la norme et l’autre – moins. Cette dernière sera alors considérée comme secondaire, moins fréquente. Mais parfois, il y a des variantes dont la fréquence d’emploi est égale, comme: prendre part à / participer à.

Dans l’enseignement du FLE à l’université pédagogique, il est important de bien distinguer les types de restrictions normatives:123

1- restrictions indispensables à tous les natifs pour assurer une parole correcte: différents régimes de verbes, la synthèse des formes de verbes irréguliers, les degrés de comparaison des adjectifs, les idiomes lexicaux et d’autres cas d’écarts obligatoires. Par exemple: aller en Crimée mais aller au Maroc; Valence – un Valentin ois , mais Lyon – un Lyon nais , Paris – un Paris ien.

Le système de langue sous-entend certaines régularités au niveau de la réalisation d’un tel ou tel phénomène langagier. Mais la norme peut détruire ce système. La langue est un organisme qui évolue en permanence et les normes changent aussi avec le temps. Les futurs enseignants doivent distinguer les régularités provenant du système et de la norme, afin de savoir organiser le contenu d’enseignement et d’en choisir les méthodes.

2 - restrictions liées à la notion de la « parole littéraire » et se subdivisant, à leur tour, à trois variétés stylistiques: parole du style livresque; parole stylistiquement neutre; style parlé. Le langage populaire et les dialectes se trouvent en dehors de la norme.

Il est évident que ce deuxième type de restriction lié à la différenciation territoriale et sociale de la langue a un caractère fonctionnel et stylistique. Ses caractéristiques peuvent changer avec le temps. On doit le prendre en considération lors de la sélection et de l’analyse du contenu d’apprentissage.

Pour maîtriser la parole correcte dans une langue étrangère, on n’a besoin d’apprendre qu’une variante de la norme, à condition d’une substitution mutuelle. Les futurs enseignants de FLE ont absolument besoin de connaître les principales variantes lexicales, phonétiques et grammaticales admises dans cette langue, pour ne pas corriger les écarts de la norme qui sont tolérés par les natifs parlant le français littéraire.124 Ce sont uniquement des variantes dans le cadre du programme universitaire.

Le rôle des variantes est considérable s’il s’agit de la réception de la parole; surtout dans le domaine phonétique. Les étudiants-linguistes de l’université pédagogique doivent connaître les variantes de la prononciation les plus fréquentes qui peuvent gêner la compréhension.125

Notes
117.

Le Nouveau Petit Robert, op. cité, p.1704.

118.

Le Nouveau Petit Robert, op. cité, p.2490.

119.

Idem, p.749.

120.

BOYER H., BUTZBACH M. et PENDANX M., Nouvelle Introduction à la didactique du français langue étrangère, Paris, Clé International, 2001, p.51.

121.

MOIRAND S., Situations d’écrit, Paris, Clé International, (Coll. D.L.E.), 1979, p.9.

122.

BOYER H, BUTZBACH M. et PENDANX M., Nouvelle Introduction …, op. cité, p.125.

123.

DOMACHNEV A. I., VASBOUTSKAÏA K. G. et al., Métodika prépodavanya…, op. cité, p.p.36-38.

124.

LAPIDUS B. A., Oboutchénié vtoromou inostrannomou iasikou kak spétsial’nosti, Moskva, 1980, p. 160.

125.

TCHÉMODANOVA N. S. (réd.), Inostrannié iasiki v vischeï chkolé. Outchebno-métoditcheskoïé possobié, Moskva, Vischaïa Chkola, 1987, p. p. 62-65.