1. 4. L’enseignement/apprentissage des bases linguistiques et langagières

Parallèlement, les bases linguistiques de l’enseignement de la communication dans une langue étrangère doivent réunir un minimum indispensable et suffisant d’unités linguistiques et de moyens langagiers.

Les didacticiens biélorusses estiment que lors de la sélection du matériel linguistique et langagier et de l’organisation de sa maîtrise, on doit s’attacher à deux principes:126 sa valeur communicative127; son rôle actif au sein de la communication. Ce qui compte, en définitive, ce n’est pas seulement la totalité des compétences langagières du sujet en situation d’apprentissage, mais aussi la façon dont ces compétences ont été acquises. Ces dernières s’insèrent, à leur tour, dans un vaste ensemble constitué des pratiques culturelles de transmission du savoir langagier et d’attitudes envers le langage dont on sait qu’elles diffèrent profondément d’une société à l’autre.

L’enseignant est mandaté par l’Institution pour transmettre aux apprenants un certain savoir qu’il construit lui-même. Dans le cas de la langue étrangère, ce savoir peut être transmis indirectement par des documents d’appui de nature diverse conçus ou non pour l’usage pédagogique ou directement par un discours descriptif explicite plus ou moins systématiquement organisé.

Une langue et une culture étrangères ne sont pas sans influencer plus ou moins profondément le comportement et même la personnalité de bien des enseignants de langue étrangère non-natifs – ceux que la société investit comme représentants légitimes d’un univers étranger. Cela entraîne parfois chez ces derniers un sentiment d’insécurité linguistique128se traduisant par un respect exagéré de la norme129 et par une activité hypercorrective.

Aujourd’hui, les didacticiens de langues affirment qu’afin d’acquérir la compétence communicative, l’apprenant doit inévitablement passer par des productions erronées. La pédagogie de l’erreur postule qu’il faut partir des productions, erronées ou non, proposées par les élèves, et les comparer à la norme.130 Ainsi, la faute devient proche de l’erreur: cette dernière est considérée comme une compétence transitoire amenant progressivement vers l’acquisition de la norme.

Souvent, l’étudiant hésite de s’exprimer oralement dans une langue étrangère par peur de se montrer ridicule par son accent ou son intonation spécifique, ou bien par gêne de disposer des moyens linguistiques très limités. D. Goldstein à l’Alliance française de São Paulo (Brésil) remarque que les apprenants s’expriment avec plus d’aisance dans les niveaux débutants; c’est à partir du moment où ils se rendent compte de leurs erreurs qu’ils commencent à avoir peur: les grands n’ont pas droit à l’erreur.131 D. Goldstein a adopté certaines stratégies permettant de surmonter ces peurs. Par exemple, elle demande à ses élèves, en fin de cours, de raconter une nouvelle de France ou d’un pays francophone. Au début, ils essaient d’apprendre par cœur, mais au fil du temps, ils se détachent progressivement du texte original, et dans six mois environ, commencent à parler naturellement . Pour travailler l’oral, E. Grynman recommande de remplir des grilles, d’utiliser des émissions de radio, des chansons, des documents authentiques. Pour M. Abgrall, il faut mettre les étudiants à l’épreuve du réel.132

R. Kawecki 133identifie deux comportements d’apprenants: ceux qui ont beaucoup de choses à dire et qui n’ont pas les outils pour le faire et ceux qui ne disent que ce qui leur paraît grammaticalement correct sans s’aventurer vers d’autres chemins. Il préconise donc de favoriser le réinvestissement lexical et syntaxique, de combattre la timidité, de rassurer en expliquant qu’apprendre une langue « passe par différents paliers, qu’il est normal de faire des erreurs et que la seule bonne attitude est d’essayer toujours de parler et d’écrire ».

C. Arnaud 134 ayant exploré le « terrain espagnol », a conclu, de son côté, que les enseignants sont conscients du fait qu’ils monopolisent assez souvent la parole, puisque les 2/3 d’entre eux reconnaissent parler en classe de 50 à 70% du temps. Il s’agit souvent de ceux qui s’intéressent davantage aux aspects formels de la langue et qui corrigent le plus leurs étudiants. Les apprenants les plus silencieux, les plus timides, ceux qui interviennent le moins sont aussi ceux qui réclament le plus de temps de parole. Près de la moitié des personnes interrogées voudraient que les étudiants puissent s’exprimer plus de 50% du temps et près de 15% voudraient même le faire plus de 70% du temps. Parmi ces derniers se trouvent les apprenants les plus introvertis et progressant avec plus de difficulté. C. Arnaud souligne que le rire et la plaisanterie peuvent contribuer à créer un climat détendu en salle d’études, favorable à l’apprentissage. Certaines expressions décourageantes comme : « Les Français ne vont pas comprendre si vous prononcez comme ça » ou « Oui, le passé composé est très compliqué. L’accord du participe passé est un vrai casse-tête », auraient au contraire produit un effet bloquant sur le groupe. A la suite de l’observation de nombreuses heures de classe, la chercheuse conclut que le chevauchement d’objectifs visant et la correction (focalisation sur la forme) et la fluidité/communication (focalisation sur le sens) dans les activités réalisées en salle d’études a pour effet d’annuler chez l’étudiant toute intention d’exprimer une pensée ou des sentiments personnels et de ce fait empêche toute implication de sa part. En général, selon M. Cavalli, il est question d’un juste équilibre à trouver entre la focalisation sur la forme et sur le contenu.135

Notes
126.

MASLIKO E. A., BABINSKAÏA P. K. et al., Nastol’naïa kniga prépodavatélia inostrannogo iasika. Spravotchnoïé possobié, Minsk, Vicheïchaïa Chkola, 2000, p. 323.

127.

Voir aussi: KOSTOMAROV V. G., MITROFANOVA O. D., Métoditcheskoïé roukovodstvo dlia russkogo iasika inostrantsam, Moskva, 1988, 157 p.

128.

Cf. DABENE L. (dir.), Recherches en didactique du français, Publ. De l’Université des langues et lettres de Grenoble, 1981.

129.

Cf. Normatif,dans:CUQ J.-P. (dir.), Dictionnaire de didactique…, op. cité, p.177.

130.

CUQ J.-P. (dir.), Dictionnaire de didactique…, op. cité, p.p.177-179.

131.

PRADAL F.,« Courrier des internautes. Surmonter la peur, dépasser le blocage », dans: Pradal F. (réd.), Le Français dans le monde, n° 357, mai-juin 2008, p.32.

132.

PRADAL F.,« Courrier des internautes. Surmonter la peur…», op. cité.

133.

Idem.

134.

ARNAUD C.,« Mieux gérer l’affectivité en classe de langue », dans: Pradal F. (réd.), Le Français dans le monde, n° 357, 2008, p.p.29-30.

135.

CAVALLI M., « Langue(s) et construction de connaissances disciplinaires: du rôle du discours de l’enseignant », dans: Chnane-Davin F. et Cuq J.-P. (coord.), Le Français dans le monde. Du Discours de l’enseignant aux pratiques de l’apprenant, n°44, juillet 2008, p.120.