2. 1. 1. Les difficultés que rencontrent des étudiants russes lors de la maîtrise de la parole française

Nous étant référés sur les analyses de L. Nasina 138 concernant l’anglais, nous avons spécifié deux types d’erreurs que les apprenants russes peuvent commettre en s'exprimant en français. Il s’agit donc des:

  • erreurs linguistiques qui déforment la langue comme système codifié représenté par des moyens de former et de formuler les idées. Par exemple: c'est un garçon marron (au lieu de: marrant) ; je t' attends à peine (au lieu de: entends ).Le russe ne possède pas de sons nasaux, leur distinction s’avère parfois difficile pour les étudiants;
  • erreurs langagières qui ne concernent pas le système de la langue, ni l'idée de l'énoncé, mais déforment un lien entre la forme langagière et la situation communicative, ce qui se révèle parfaitement à travers le choix du style.139 Nous pouvons citer à ce propos un emploi inadmissible des formes de salutations familières dans des situations officielles. Par exemple, la rencontre d'un étudiant et de son professeur sous-entend le recours à un style officiel des deux côtés. Il est de fait que les locuteurs français recourent beaucoup plus souvent à des formules de politesse que les Russes. Et d’autre part, dans des situations familières, les Français se tutoient, malgré leurs différences d’âge, ce qui est inadmissible en Russie. Toutes ses distinctions liées à des phénomènes culturels et sociaux, sont à l’origine des erreurs langagières des locuteurs russophones. Donc les erreurs langagières déforment l'authenticité du langage ou bien le rendent stylistiquement inadéquat pour une situation donnée.

Il est évident que le premier type d’erreurs touche directement au contenu, tandis que le seconde concerne la forme d’expression, sans empêcher de comprendre le sens de ce qui est dit.

« Apprendre à communiquer, c'est acquérir la connaissance des conventions qui régissent le processus de la communication. » 140 Ce sont des conventions d'ordre socioculturel, ainsi que celles qui sont créées par la situation même et qui dépendent des variations introduites par les participants.

Certaines « préférences » des apprenants russes concernant leur manière de construire les phrases sont facilement explicables par l'effet de l'enseignement même. Par exemple, la fameuse tournure est-ce que est largement enseignée en classe de FLE. A ce propos, on peut constater, après les auteurs du corpus LANCOM, que le français que parlent les apprenants étrangers est assez souvent « plus du bon français » que du « vrai français ».141 C'est une langue marquée, d'une part, par les descriptions des grammaires d'usage et, d'autre part, par un transfert, dans la langue étrangère, des structures dominantes de la langue maternelle.

Pendant trois ans, nous avons enseigné le FLE dans une école secondaire et ensuite, pendant cinq ans - à l'Université pédagogique de Russie et nous avons souvent remarqué ces deux tendances présentes chez des apprenants russes des deux niveaux, surtout la seconde. En voici un exemple. Dans la langue russe, il y a seulement une particule négative qui se place devant le verbe, d’où vient la tendance des étudiants russophones d’omettre la deuxième partie de la négation en français.

En ce qui concerne les moyens paralinguistiques, c'est surtout l'intonation et le rythme de la phrase française que les apprenants russes ont de la peine de maîtriser parfaitement. Le russe est une langue où chaque mot porte son propre accent et l'intonation peut beaucoup varier à l'intérieur d'une même phrase, en fonction de son sens. C'est pourquoi les étudiants russes se familiarisent sans trop de difficultés avec l'accent emphatique du français, mais, en même temps, ils ont des problèmes avec des intonations montantes dans les phrases interrogatives à l'inversion du sujet (dans les mêmes circonstances, la langue russe fait recours uniquement à une intonation variable, avec une insistance considérable sur le mot ou la partie de la phrase mis(e) en question), de même qu'avec celles dans les phrases se terminant par un mot interrogatif du type: «Tu rentres quand ?». 142

Selon V. Gak,143 la comparaison des modèles intonatifs des mêmes types de phrases en français et en russe permet de conclure que des intonations affirmatives et exclamatives se ressemblent dans les deux langues, tandis qu’un ton ascendant de la phrase interrogative en français n’est pas caractéristique pour la question russe. Donc, il est à l’enseigner en priorité aux apprenants russophones.

Souvent, les futurs enseignants envisagent la phonétique comme une science technique et rébarbative. Elle se réduit à des connaissances livresques résumées par divers tableaux et schémas avec quelques vagues notions sur le rythme et l’intonation.144

Notes
138.

NASINA L. I., « Sur le Statut des erreurs stylistiques et les méthodes de leur correction », dans: Chatilov S. P. (réd. en chef), Nouvelles Tendances dans les méthodes d’enseignement des langues étrangères à l’école et à l’université. Recueil interuniversitaire de travaux de recherche, Saint-Pétersbourg, Obrasovanié, 1992, p.p.115-122.

139.

VERECHTCHAGUINE E. M., Caractéristiques psychologique et méthodologique du bilinguisme, Moscou, 1969.

140.

KRAMSCH C., Interaction et discours dans la classe de langue, Paris, Hatier/Didier, 1991, p.12.

141.

DEBROCK M. et Flament-Boistrancourt M., « Le Corpus LANCOM: Bilan et perspectives », dans: I.T.L. Review of applied lilnguistics 111-112, Louvain, Université Catholique Néerlandophone, 1996, p.20.

142.

Les enregistrements audio des jeux de rôle réalisés en français par les étudiants russes de l'université en sont la preuve.

143.

GAK V. G., « Frantsouzsky iasik…», op. cité, p.72.

144.

BILLIÈRES M., « L’Inhibition phonétique en langue étrangère », dans: Pradal F. (réd.), Le Français dans le monde, n° 357, mai-juin 2008, p.24.