1. 0. La démarche centrée sur l’enseignant

« Enseigner: agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. »147 Cette affirmation peut s’appliquer à tout enseignant, d’autant plus à l’enseignant de langue, appelé à opérer sur un terrain particulièrement sensible au changement et à l’évaluation.

En matière de formation, la démarche se situe actuellement du côté de la « formation réflexive » issue des travaux de Donald Schön et de la perspective actionnelle proposée par le CECR. 148

Si la formation est aussi un apprentissage, on peut faire appel aux composantes classiques de l’acte pédagogique, désormais définies en termes de savoir-être, savoir, savoir-faire et savoir-apprendre.149

Pour ce qui est du savoir-être, l’enseignant devra donc être capable de se remettre en question en acceptant les idées d’autrui (disponibilité); être conscient de l’image de soi chez les autres (objectivation des comportements); être capable d’assumer des rôles différents dans le processus d’enseignement/apprentissage (flexibilité). Quant au savoir, il devra connaître les notions spécifiques relatives à la didactique des langues et du FLE dans notre cas; à la pédagogie générale; au processus d’enseignement/apprentissage comme élément d’un système. Dans le domaine du savoir-faire, il devra être capable d’utiliser les notions acquises et les techniques de travail expérimentées pour analyser, comparer, choisir des produits éditoriaux ou des pratiques adaptés aux différentes situations d’enseignement/apprentissage; intégrer, adapter à sa propre situation de formation des idées « venues d’ailleurs »; produire des matériaux nouveaux appropriés. Quant au savoir-apprendre (savoir apprendre à se former, dans notre cas), il mobilise à la fois des savoir-être (disposition à prendre des initiatives dans l’interaction en groupe, conscience des possibilités de malentendus culturels dans la relation avec l’autre), des savoirs (identifier le type de théorie de l’apprentissage qui sous-tend une activité de formation ou définir les pratiques d’apprentissage correspondant mieux à une culture) et des savoir-faire (savoir se repérer rapidement dans une bibliographie ou dans un centre de documentation ou savoir manipuler des supports audio-visuels ou informatiques offrant des ressources pour la formation).

Tout comme pour le savoir-apprendre en langue, l’enseignant qui s’inscrit dans une démarche réflexive aura aussi développé des aptitudes à l’étude telles que la capacité à utiliser tout le matériel disponible pour un apprentissage autonome; la capacité à organiser et à utiliser le matériel pour un apprentissage autodirigé; la capacité à apprendre de manière efficace par l’observation directe et la participation à des activités de formation qui impliquent le développement des aptitudes analytiques; la conscience, en tant qu’apprenant, de ses forces et de ses faiblesses et la capacité d’identifier ses propres besoins et d’organiser ses propres stratégies et procédures en conséquence.

A ces aptitudes s’ajoutent aussi des approches heuristiques qui le rendent capable, dans une situation de formation donnée, de s’accommoder d’une expérience nouvelle (de gens nouveaux, de nouvelles manières de faire, de nouveaux instruments) et de mobiliser ses autres compétences (par exemple par l’observation, l’interprétation de ce qui est observé, l’induction, la mémorisation).

D. Schön prône pour « une nouvelle épistémologie de la pratique »150 qui a comme référence les compétences sous-jacentes à la pratique des bons professionnels, là où « épistémologie de la pratique » désigne une réflexion effectuée à partir de situations pratiques réelles.

Quant à la perspective actionnelle, la démarche proposée dans le CECR pour l’enseignement/apprentissage d’une langue retient le principe que « l’usage et l’apprentissage d’une langue, actions parmi d’autres, sont le fait d’un acteur social qui possède et développe des compétences générales individuelles, et notamment une compétence à communiquer langagièrement, qu’il met en œuvre à travers divers types d’activités langagières qui lui permettent de traiter (en réception et ne production) des textes à l’intérieur de domaines particuliers, en mobilisant les stratégies qui lui paraissent convenir à l’accomplissement des tâches à effectuer. Cette mise en œuvre contextualisée des compétences individuelles et singulièrement de la compétence à communiquer contribue à les modifier en retour151 ».

Pour mette en œuvre pareille démarche de formation, qui se veut isomorphe à l’apprentissage des langues, il est intéressant de partir du point de vue de C. Tavares qui a remplacé dans la définition précédente, « l’usage et l’apprentissage d’une langue » par « le métier de l’enseignant », tout en procédant parallèlement à quelques adaptations qui découlent du changement de plan, à savoir que « le métier de l’enseignant de langues est réalisé par un acteur social qui possède et développe des compétences générales individuelles, et notamment une compétence à communiquer et une compétence technique qu’il met en œuvre à travers divers types d’activités d’enseignement en mobilisant les stratégies qui lui paraissent convenir à l’accomplissement de tâches à effectuer ou aux rôles à jouer. Cette mise en œuvre contextualisée des compétences individuelles ne cesse de les modifier en retour.152 »

Pour que l’enseignant en formation apprenne non pas « ce qu’il faut faire », mais, comme le dit encore C.Tavares, « ce qu’il faut savoir pour faire »153 et acquérir ainsi un capital qu’il pourra gérer comme il voudra, les pratiques de formation envisagées pourraient s’inscrire dans une démarche en trois temps : bilan des connaissances en relation à ses propres expériences d’apprentissage et/ou à ses représentations de l’enseignement; conceptualisation et systématisation des acquisitions en ayant recours aux savoirs théoriques qui sous-tendent ces pratiques (semblables aux pratiques de classe pour l’enseignement du FLE); réexamen des connaissances et/ou représentations initiales enrichies par de nouvelles approches des différentes notions à travers l’analyse de pratiques de classe en FLE et/ou de situations d’enseignement donnant lieu à des études de cas.

Cette démarche de formation sollicite en permanence l’enseignant dans le cadre d’une démarche interactive tant d’expression que de compréhension qui lie son savoir académique et sa pratique.

Notes
147.

PERRENOUD Ph., Enseigner: agir dans l’urgence, décider dans l’incertitude. Savoirs et compétences dans un métier complexe, Paris, ESF, 1996 (2e éd. 1999).

148.

Un Cadre européen commun de référence pour les langues: apprendre, enseigner, évaluer, Conseil de l’Europe, Division des Politiques Linguistiques, Strasbourg, 2000.

149.

BERTOCCHINI P. et COSTANZO E.,« Pour une démarche centrée sur l’enseignant », dans: Morin I. et Tillier A. (réd.), Le Français dans le monde, n° 360, 2008, p.p.38-41.

150.

SCHÖN D., « À la recherche d’une nouvelle épistémologie de la pratique et de ce qu’elle implique pour l’éducation des adultes », dans: Barbier J.-M. (dir.), Savoirs théoriques et savoirs d’action, Paris, PUF, 1996, p.p.201-222.

151.

CONSEIL DE L’EUROPE: Cadre européen commun de référence pour les langues, Paris, Didier, 2001, p.p.15-16.

152.

FERRAO TAVARES C., BEGIONI L., CONSTANZO E. et FERREIRA F., « Introduction », dans: A.A.V.V., Polyphonies. La Formation des formateurs de langues en Europe, Paris, CIRRMI, 1998, p.15.

153.

FERRAO TAVARES C., « Former autrement des professeurs de langues étrangères », dans: Teacher Education in Europe: The Challenges Ahead, Glasgow, Jordanhill College, 1990.