En prenant comme point de départ les postulats du Programme du Conseil de l’Europe cité ci-dessus154, nous affirmons que le professeur de langues doit être un « utilisateur » actif et instruit de la langue étrangère, un organisateur habile des activités communicatives en classe, un participant actif du processus d’enseignement/apprentissage, un spécialiste en didactique, un partenaire de communication, un locuteur interactif, un écouteur patient, bienveillant et compatissant, prêt à aider, un conseiller compétent, une personne qui encourage et prédispose à la communication, un chercheur, une source d’informations et d’idées, un novateur dans le domaine de l’enseignement des langues, un juge expérimenté, capable de stimuler la motivation d’apprendre la langue et son application efficace ultérieure.155Il doit savoir organiser et diriger la communication dans une langue enseignée. Le savoir qu’il a à transmettre n’est pas quelque chose de fini, mais se construisant dans l’immédiateté de l’interaction didactique. Un professeur de langue ne peut pas se limiter à une description de l’objet à enseigner, son rôle est surtout de générer la parole orale et écrite. Pour ce faire, il a recours à un ensemble de sollicitations dont le questionnement est la forme la plus fréquente. Il demande à l’apprenant de faire, de refaire, de corriger, de répondre à un autre étudiant, etc. Le métier de professeur implique l’obligation de faire produire du langage par ses apprenants. Ces derniers apprennent en communiquant. Le processus d’apprentissage est entièrement basé sur ce principe. L’enseignant stimule les étudiants de communiquer dans la langue étrangère, en créant des situations d’apprentissage plus ou moins naturelles, en leur proposant de remplir des tâches liées au sujet du cours, en les incitant à travailler par deux ou en petits groupes, à répondre aux questions du professeur ou de leurs camarades, etc.
« On peut se demander, - écrivent L. Dabène, F. Cicurel et al. 156, dans quelle autre situation – mis à part le théâtre et le cinéma -, un adulte est ainsi investi d’une identité imaginaire <…> ce qui suggère l’idée d’une classe-théâtre, d’un lieu où l’on représente la communication selon certaines règles. » L’enseignant joue fréquemment à ne pas savoir, à ne pas entendre, à mettre entre parenthèses son savoir157 dans le but d’encourager l’acquisition, de stimuler la parole. Il s’agit d’un jeu didactique comportant des règles précises et demandant une « coopération » de la part de l’enseignant et des apprenants.
L’enseignant de FLE en Russie se trouve dans une situation exolingue et a généralement comme apprenants des personnes comptant trop sur lui, ne témoignant que peu d’initiative, suite à la façon traditionnelle de l’enseignement. Une vraie cause de silence du groupe peut être due à une passivité aussi bien qu’à une malcompréhension. L’obligation d’assurer un niveau de compréhension satisfaisant engage l’enseignant à recourir fréquemment à des procédés d’auto-paraphrasages, de répétitions, de reformulations, de simplifications, aux feed-back du type: n’est-ce pas ? c’est ça ?, etc.
Le professeur de FLE doit savoir adapter sa parole en fonction de ses apprenants, de leur âge, de leurs niveaux, de leurs intérêts et même de leurs humeurs et tempéraments, alterner un travail collectif avec celui en mini-groupes ou proposer une tâche individuelle, succéder des formes dialogique et monologique, passer d’une activité langagière à l’autre.
L’enseignant représentant pour les apprenants – et la société – la norme de référence du langage proposé à l’apprentissage, est constamment chargé d’évaluer l’acceptabilité des productions réalisées conformément à cette norme. Il ne s’agit pas seulement des aspects formels et institutionnalisés d’évaluation (notations, appréciations et diverses formes de certification) mais aussi de chaque moment de l’échange pédagogique par le seul fait de la présence de l’enseignant, même de sa façon de s’exprimer avec du regard. L’évaluation peut être qualifiée comme moment pédagogique particulier et d’une importance cruciale pour tout le processus d’apprentissage.158
Bref, la triple fonction est réservée à l’enseignant: il est, à la fois, vecteur d’information, meneur de jeu et évaluateur. 159 Et encore nous soulignons qu’un enseignant russe efficace l’est deux fois, en se trouvant en face des apprenants venus « s’approprier » des savoirs et non pas en « acquérir » en résultat d’une coopération active avec le professeur. Ce phénomène résulte dans la plupart des particularités sociales de la vie en Russie. Il est valable aussi bien pour le niveau d’école secondaire que pour les études universitaires.
L’enseignant reproduira inévitablement les modèles didactiques lui étant familiers en résultat d’une formation reçue. En même temps, il n’est pas libre d’agir à sa guise mais doit suivre des directives imposées par le biais d’instances institutionnelles – chef d’établissement, conseiller pédagogique, Instructions officielles, programmes, préface de méthodes. On lui prescrit un comportement verbal. Ceci est moins actuel pour le niveau universitaire, où l’enseignant peut - s’il le souhaite – « coopérer » avec des restrictions prévues par des programmes, un type d’établissement et – en partie – par un manuel choisi souvent par lui-même. Les contraintes existantes – méthodologiques, niveaux des élèves, objectifs à atteindre – ne parviennent pas à gommer sa personnalité. Son style d’enseignement sera conforme à sa culture d’origine et à sa formation méthodologique.
L. Dabène, F. Cicurel et al. 160 reconnaissent qu’il s’agit d’une coexistence des universaux didactiques, qui dessinent les procédures d’un rituel communicatif spécifique, déterminé par le statut des locuteurs et la finalité des échanges, et des variations des situations d’enseignement/apprentissage qui constitue le noyau dur de la classe de langue.
Voir la page 105.
Symposium on initial and in-service training of teachers of modern languages (Delphy, 1983), Strasbourg, Counsil of Europe Press, 1985.
DABÈNE L., CICUREL F. et al., Variations et rituels en classe de langue, Paris, Hatier/Credif, 1990, p. 52.
Voir: PORCHER L., « Paradoxes sur un enseignant », dans: Etudes de Linguistique Appliquée, 1984, n°55.
Cf: MEHANNA G., « La Culture de l’évaluation en Égypte », dans: Ploquin F. (réd.), Le Français dans le monde, n°353, 2007, p.p.30-31.
DABÈNE L., CICUREL F. et al., Variations et rituels en classe de langue, op. cité, p.p. 80-82.
Idem, p. 94.