Nous avons déjà constaté ci-dessus qu’il est impossible d’isoler l’oral de l’écrit, puisque l’étude même de l’oral se base sur des transcriptions de la parole.
C. Blanche-Benveniste révèleque ce fût Périclès qui eût été le premier à prononcer des discours écrits d’avance. Plus tard, durant plusieurs siècles, il était admis d’écrire uniquement les « grandes langues », ayant une tradition grammaticale. Une grande partie des auteurs modernes estiment que l’on ne pourrait pas, sans l’écriture, analyser la langue.
L’attention au texte littéral, c’est-à-dire aux mots exacts, viendrait de l’écriture. Elle est, habituellement, très faibledans les formes de communication immédiate. Par ailleurs, les spécialistes comme E. A. Havelock montrent comment une culture orale préserve l’information contenue dans les textes littéraires en lui donnant une forme facile à mémoriser: rythmes, régularités phoniques, symétries. Ici, l’attention se porte sur la forme.
C. Blanche-Benveniste souligne que le modèle écrit sert à « penser la langue », et on est tenté de faire confiance à son écriture pour faire introspection de son langage parlé. On se rend fréquemment compte de prononcer un mot « comme il est écrit », à force de mal percevoir les écarts n’étant pas signalés dans l’écriture. Nous affirmons que ce fait est très actuel pour des locuteurs russophones dont la langue maternelle prévoit un écart phonétique important de l’oral par rapport à son modèle écrit.
C. Blanche-Benveniste estime qu’en tant que participants à un dialogue, nous sommes surtout attentifs à ce que l’autre veut dire, plus qu’à ce qu’il dit, et à la forme exacte et littérale de son discours. C’est pourquoi nous sommes finalement peu gênés par les répétitions et les hésitations propres au langage parlé improvisé, que nous percevons à peine et qui semblent insupportables quand on les met par écrit. Lorsque nous écoutons la langue parlée pour l’étudier, nous nous efforçons au contraire de saisir tout ce qui est effectivement dit, y compris les redites et les hésitations.
Le point d’exclamation, la virgule, la majuscule ou les guillemets fournissant des équivalents approximatifs de plusieurs sortes de phénomènes oraux, sont en trop petit nombre pour pouvoir refléter la grande diversité des effets de l’oralité, comme par exemple l’accent d’insistance, l’allongement, la montée de la voix, le changement de débit, et tout ce que l’écriture est incapable de représenter, comme le ton ironique ou les différentes forces illocutoires, affirme C. Blanche-Benveniste. Elle reconnaît en même temps le fait que dans le discours oral, ces moyens d’expression écrits servent de démarcatifs: beaucoup de gens préfèrent prononcer les mots entre guillemets, entre parenthèses, plutôt que de miser sur un procédé purement oral. Elle donne aussi l’exemple des professionnels de la radio qui ont tendance d’éclaircir une interprétation équivoque dans la langue parlée, en faisant décompte des mots prononcés:
‘- C’est bien une plaque à vent qui s’est détachée. Plaque à vent en trois mots (radio Info 20196).203 ’C. Blanche-Benveniste en déduit que nous parlons à l’oral avec des phrases, des mots bien distincts, des majuscules et des signes de ponctuation, alors qu’il s’agit fondamentalement des notions graphiques; elles rendent d’autant plus difficile l’effort qui consiste à étudier le parlé en tant que tel.
BLANCHE-BENVENISTE C., Approches de la langue…, op. cité, 2000, p.12.