2. 2. Les registres et les genres du français parlé

C. Blanche-Benveniste nous fait savoir qu’auparavant, on avait la tradition de classer le français parlé selon une quantité de principes, souvent fondés sur des corrélations entre faits de langue et autres données, comme familier, populaire, littéraire, poétique, archaïque.L’analyse des attitudes énonciatives a fourni d’autres classements: textes informatifs et textes narratifs, face à face, à distance, conversation, monologue, dialogue, trilogue, narration et récit, etc. Mais ces classements ne suffisaient toujours pas à absorber la grande complexité des phénomènes de la langue parlée.Par exemple, les passés simples font partie des signes par lesquels les locuteurs donnent à leurs discours une coloration littéraire.

Le lexique est un déclencheur de prestige le plus visible. En sens inverse, le recours à des mots familiers peut agir comme un signe de connivence. Il s’agit de ce qu’on appelle « le français non conventionnel ». Quoique ce ne soient pas les couches sociales les plus basses qui en font recours le plus souvent, mais bien les professions libérales et les cadres supérieurs.

Les parodies nous apprennent qu’on ne peut pas réduire la compétence de langage à ce qu’on en voit dans les conversations, ou dans d’autres situations dites « spontanées ». Les situations « factices » ou de grandes contraintes doivent être sollicitées également.

Refusant de faire des oppositions trop simples entre l’oral et l’écrit ou le familier et le soutenu, des linguistes comme D. Biber (1988) avaient étudié, à base de nombreux échantillons, la répartition de certains phénomènes lexicaux et grammaticaux, tant à l’écrit qu’à l’oral. A partir de ces répartitions, Biber a déterminé différents « registres » de langage, ayant proposé une soixantaine de critères pour l’anglais, tels que les temps et les aspects des verbes, adverbes de temps et de lieux, les pronoms et les formes substantivées du verbe, les questions, les formes nominales, les gérondifs, etc. Il a regroupé ces critères internes pour définir 23 genres majeurs, dont au moins 6 pour la langue parlée: conversations en face à face, conversations par téléphone, débats et entrevues en public, émissions de radio ou télévision, discours non préparés, discours planifiés. Chaque genre contient des sous-groupes. Biber a également proposé de considérer les deux futurs, je sortirai et je vais sortir, comme des variantes exprimant le « même sens » sous des formes grammaticales différentes, en fonction du choix du « registre ».

C. Blanche-Benveniste mentionne que certaines situations de parole spontanées (conversations à bâtons rompus, entrevues, courts récits chronologiques) ont des énoncés courts juxtaposés les uns aux autres. D’autres favorisent au contraire les constructions à nombreuses subordinations, surtout lorsqu’il s’agit de fournir des explications, des justifications ou des juxtapositions. En tenant compte des exemples similaires observés en anglais parlé, M. Halliday a conclu que la langue parlée se caractériserait plutôt par la complexité de sa syntaxe.

L’existence de différents genres dans la langue parlée montre qu’il est bon de multiplier les angles d’observation, et d’envisager plusieurs sortes de compétences linguistiques, dont certaines comportent une bonne part d’application.

Une grande partie des productions de la langue parlée observables, loin d’être spontanées, suivent des modèles bien établis. Les hommes politiques français peuvent improviser leurs discours sur le modèle fourni par les grandes écoles, Ecole Nationale d’Administration, ou Sciences Politiques.

C. Blanche-Benveniste conclut qu’au fur et à mesure du développement des études sur les langues parlées fondées sur de grands corpus, on s’aperçoit que la part quantitative du « langage spontané » se réduit, et qu’il est bon de connaître l’ensemble des genres attestés.