3. 0. Les domaines et les méthodes

Des outils particuliers sont évidemment nécessaires pour l’étude du domaine phonique, de la prosodie et des circonstances particulières à la prise de parole orale.

Depuis une quinzaine d’années, nous fait part C. Blanche-Benveniste,les études sur la langue foisonnent, et il n’est pas possible de rendre compte de toutes les orientations. Selon Halliday, les principales différences entre des productions orales et leurs équivalents écrits viendraient de la façon de présenter l’information (« information packaging »). L’étude des conversations et des dialogues apporte des problèmes nouveaux. La théorie des actes de langage a modifié le cadre d’interprétation des constructions grammaticales, en particulier celle des modalités. Il est ainsi difficile de faire coïncider la modalité interrogative avec une forme syntaxique précise. La plupart des formes syntaxiques qu’on cite pour l’interrogation, postposition du sujet, recours à est-ce que, intonation, peuvent convenir pour l’exclamation, la suspension, etc. Le terme même d’interrogation, trop vague pour s’adapter commodément aux opérations pragmatiques, est détaillé en requête, demande de confirmation, demande d’approbation, suggestion, question partielle.

La distinction entre énoncé et énonciation a apporté des compléments à l’étude proprement syntaxique. D’après Le Nouveau Petit Robert,209 l’énoncé est un « résultat, réalisation de l’acte de parole », tandis que l’énonciation est une « production individuelle d’une phrase dans des circonstances données de communication ».Ainsi, la signification de nombreux actes de langage comme l’approbation, la dénégation, la requête, est complètement différente selon qu’ils s’exercent sur le contenu de l’énoncé ou sur l’énonciation.Dans les conversations, une grande partie du temps de parole est occupée par des commentaires sur l’énonciation. Les éléments que M. J. Fernandez210 nomme particules énonciatives, comme donc, vous voyez, déjà, signalant des opérations énonciatives, y tiennent parfois une grande place.

On traite aujourd’hui de longs corpus, enregistrés dans des conditions naturelles et le rôle démarcatif de la prosodie y est beaucoup moins orienté vers la dissipation de l’ambiguïté. Les bases matérielles sur lesquelles se fonde la prosodie, les tons mélodiques, la durée, l’intensité, sont objectivement mesurables. Mais on sait que la perception auditive ne coïncide pas directement avec ces caractéristiques objectives. Là où nous croyons entendre une pause, les appareils de mesure montrent souvent que qu’il n’en est rien.

C. Blanche-Benveniste atteste que l es relations entre ces données et celles de la grammaire ordinaire ne sont pas simples: les incises n’ont pas toujours un décrochage de registre et les pauses ne marquent pas toujours une frontière hiérarchique.

Les progrès technologiques de l’informatique ont modifié l’étude des langues parlées, en permettant d’établir de grands corpus (reliés à des corpus de langue écrite), dont la taille se mesure en millions de mots, disponibles pour l’anglais, l’allemand, le néerlandais, le suédois, le danois, le norvégien, l’italien, le portugais, l’espagnol. Ces données ont des applications pratiques immédiates: élaboration de grands lexiques sur des données à la fois écrites et orales (comme The Birmingham Collection of English Text); publication de grammaires; établissement de corpus multilingues parallèles (pour faciliter l’étude contrastive, la traduction et l’enseignement des langues étrangères).

Notes
209.

Le Nouveau Petit Robert, op. cité, p.878.

210.

FERNANDEZ M. M. J., Les Particules énonciatives dans la construction du discours, Paris, PUF, 1994, 284p.