1. 1. Les particularités de l’analyse du discours-en-interaction

C. Kerbrat-Orecchioni détermine un vaste ensemble des pratiques discursives se déroulant en contexte interactif, dont la conversation n’en représente qu’une forme particulière,comme objet d’analyse du discours en interaction (ADI).

Elle fait ensuite savoir que le concept d’interaction est apparu d’abord dans le domaine des sciences de la nature et des sciences de la vie, et à partir de la seconde moitié du XXe siècle, il a été adopté par les sciences humaines pour qualifier les interactions communicatives. Qu’il s’agisse d’interactions entre particules ou d’interactions entre sujets, on a toujours affaire à un système d’influences mutuelles, ou bien encore à une action conjointe (joint action).

Les interactions communicatives peuvent se réaliser par des moyens non verbaux et verbaux. Dans ce dernier cas, on parle d’interactions conversationnelles, où d’interactions verbales, ces expressions pouvant s’appliquer à tous les objets discursifs qui résultent de l’action ordonnée et coordonnée de plusieurs « interactants ». 

C. Kerbrat-Orecchioni remarque que l’activité de parole implique toujours la prise en compte d’un destinataire réel ou potentiel: pour la rhétorique déjà, la règle d’or est l’adaptation à l’auditoire. Cette activité peut se dérouler au sein d’un dispositif monologal ou dialogal. Dans ce dernier cas, le discours est pris dans un circuit d’échange: il s’adresse à un destinataire concret (qu’il soit individuel ou collectif), doté de la possibilité de prendre la parole à son tour.

La notion d’interaction implique, précise C. Kerbrat-Orecchioni, que le destinataire soit en mesure d’influencer le comportement du locuteur de manière imprévisible alors même qu’il est engagé dans la construction de son discours; en d’autres termes, pour qu’il y ait interaction il faut que l’on observe certains phénomènes de rétroaction immédiate. Ce qui exclut le dialogue avec réponse en différé, comme les correspondances (même électroniques).

Les critères à prendre en compte pour déterminer le degré d’interactivité d’un discours quelconque sont, selon C. Kerbrat-Orecchioni, la nature des participations mutuelles et - quand on a affaire à une véritable alternance des tours de parole - le rythme de cette alternance (en relation avec la longueur des tours), ainsi que la répartition des prises de parole (plus ou moins équilibrée); et corrélativement, le degré d’«engagement » des participants dans l’interaction.

L’analyse du discours-en-interaction privilégie les formes de discours qui présentent le plus fort degré d’interactivité, au premier rang desquelles figurent les conversations, considérées comme une sorte de prototype en la matière.

Les interactions constituent également, d’après Tarde,le plus fidèle « miroir de la société », et d’après Goffman une sorte de « système social en miniature ». Schegloff affirme que l’ouverture d’une conversation téléphonique permet d’appréhender l’essence même de l’ordre social.

L’ADI décrit toutes les formes d’interactions communicatives – parmi celles qui ont déjà donné lieu à de nombreuses investigations, signalons par exemple la communication en classe .

C. Kerbrat-Orecchioni met en garde que tout n’est pas interactif dans le discours-en-interaction; l’ADI met naturellement l’accent sur les phénomènes dont le caractère interactif est le plus évident et qui ont été de ce fait négligés par la linguistique du discours à orientation « monologale », comme les mécanismes de construction des tours ou le fonctionnement des négociations conversationnelles.

L’« interaction » est le résultat d’un travail collaboratif, c’est-à-dire que les participants coordonnent leurs activités à tous les niveaux pour produire en commun cet objet final. L’émetteur parle toujours à quelqu’un, et le signale par l’orientation de son corps, la direction dominante de son regard, et la production de marqueurs verbaux d’allocution. De son côté, le récepteur doit lui aussi produire des signaux-régulateurs (ou « signaux d’écoute »): des « feed-back ». Ces régulateurs ont des réalisations diverses, non verbales (regard, hochement de tête, froncement des sourcils, bref sourire, léger changement postural), vocales (« mmh » et autres vocalisations), ou verbales (avec différents degrés d’élaboration: morphème exclamatif, ou à valeur d’approbation – «oui», « d’accord » -, reprise avec ou sans reformulation, par un second locuteur du discours de son partenaire). Cosnier remarque que les régulateurs verbaux sont généralement associés à un signe non verbal.C’est avant tout par la production continue de phatiques et de régulateurs que les différents partenaires se signifient qu’ils se considèrent mutuellement comme des interlocuteurs valables.

Le discours-en-interaction est finalement, d’après C. Kerbrat-Orecchioni, un objet complexe, comportant différents « niveaux », « plans » ou « modules ». L’analyse a pour but essentiel, selon la formule de Lambert, de « cerner la manière dont les agents sociaux agissent les uns sur les autres à travers l’utilisation qu’ils font de la langue » et d’autres unités d’ailleurs que les signes proprement linguistiques.

C. Kerbrat-Orecchioni fait savoir qu’il y a plusieurs outils et écoles de l’étude du discours-en-interaction, mais le plus important de tous ces courants est assurément l’analyse conversationnelle stricto sensu (CA). Sacks affirme qu’il faut partir des données pour dégager des règles qui s’appliquent à des objets de langage (unités).