2. 1. Une harmonie de tous les « niveaux » de l’interaction

Toujours dans son ouvrage « Les Interactions verbales », C. Kerbrat-Orecchioni parle du phénomène d’« auto-syncronisation » représentant une harmonisation des divers comportements produits simultanément ou quasi-simultanément, par un même interactant.221 Ainsi, la chaîne verbale et la chaîne mimo-gestuelle fonctionnent en étroite synergie.

C. Kerbrat-Orecchioni considère certains comportements non verbaux comme des conditions de possibilité de l’interaction, qui doivent être réunies pour que celle-ci puisse s’ouvrir/se poursuivre/cesser, les faits les plus pertinents à ce niveau étant la distance proxémique (varie selon les sociétés), l’orientation du corps, et le regard. Pour qu’il y ait véritablement « dialogue », il faut non seulement qu’il ait en présence deux personnes (au moins) qui parlent à tour de rôle, mais il faut en outre que ces deux personnes produisent des signes d’attention et d’intérêt mutuels, attestant du fait qu’elles sont effectivement « engagées » dans l’échange communicatif. En ce qui concerne la structuration de l’interaction, dans le système d’alternance des tours de parole, pour prendre, garder ou passer la parole, on recourt à un ensemble de signaux dont certains sont de nature non verbale, et d’autres – les plus importants sans doute – de nature prosodique. Les données prosodiques et mimo-gestuelles deviennent fondamentales, lorsqu’il s’agit de détecter les allusions ou les emplois ironiques. A côté des intonations, des regards et bien des éléments mimo-gestuels, c’est la voix qui constitue un instrument privilégié pour l’expression des émotions.

C. Kerbrat-Orecchioni souligne que l’activité motrice facilite l’activité verbale. Par exemple, au téléphone, on gesticule, inutilement pourtant d’un point de vue strictement interactif. Lorsqu’on récite un texte appris par cœur, l’activité gestuelle est beaucoup plus pauvre que lorsqu’on produit « un travail locutoire créatif »; et cette activité s’accroît en cas de parole hésitante, symptôme de difficultés dans l’élaboration du discours.

On peut redéfinir l’interaction, à la suite de Scherer, comme «un processus par lequel deux ou plusieurs acteurs co-orientés, suivant des séquences de comportement orientées vers un but, se transmettent l’information d’une manière mutuellement contingente, grâce à des configurations de signes multicanales ».222 

La communication est donc multicanale: « Nous parlons avec nos organes vocaux, mais c’est avec tout le corps que nous conversons ».223 Si le mode verbal porte le plus souvent l’information intentionnelle explicite, d’autres modes assurent des fonctions tout aussi nécessaires au bon déroulement de l’interaction. La fonction référentielle est assurée surtout par le matériel verbal, ainsi que la fonction métalinguistique et métacommunicative, alors que les fonctions expressive et phatique reposent en premier lieu sur les éléments paraverbaux et non verbaux, ainsi que l’ensemble des significations « relationnelles » (pour reprendre la distinction communément admise entre « contenu » et « relation »). Ces différents canaux sont complémentaires, et également nécessaires à la communication orale, affirme C. Kerbrat-Orecchioni. Elle souligne parallèlement qu’il faut théoriquement rendre compte de manière globale de l’ensemble des constituants du texte conversationnel, c’est-à-dire de ce que Cosnier appelle le « totexte ».

Selon C. Kerbrat-Orecchioni, les problèmes que se pose toute analyse se voulant « totextuelle » sont considérables: problèmes d’enregistrement des données visuelles (la caméra étant plus encombrante et plus perturbante pour le déroulement de l’interaction, que le simple magnétophone); problèmes de transcription des faits paraverbaux et non verbaux; problèmes d’analyse et d’interprétation de ces mêmes faits, tous les spécialistes s’accordant à reconnaître la polysémie des unités prosodiques et mimo-gestuelles.

Au demeurant, il reste possible de dire beaucoup de choses pertinentes sur le déroulement d’une interaction sans disposer des données visuelles.

Notes
221.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Les Interactions verbales…, op. cité, p.142.

222.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Les Interactions verbales…, op. cité, p.150.

223.

Idem.