Le discours-en-interaction tel qu’il a été défini plus haut (critère de co-présence des participants) se réalise à l’oral, en face à face ou à défaut au téléphone (en oreille-à-oreille).
L’opposition oral/écrit repose d’abord sur une différence de canal et de matériau sémiotique (en gros: phonique vs graphique). C. Kerbrat-Orecchioni nous cite toutes sortes de formes « hybrides », comme, par exemple, un oral secondairement scripturalisé (des interviews téléphoniques destinées à la presse), un écrit oralisé (lors d’un cours, l’enseignant oralise ses notes, les étudiants transforment en notes le message oral), un enchevêtrement de l’oral et de l’écrit dans ces situations « oralo-graphiques » (constantes en contexte didactique, et fréquentes en contexte de travail), dans lesquelles la communication exploite simultanément les deux types de matériaux.224
Par ailleurs, l’opposition oral/écrit renvoie à la notion de registre (relâché vs soutenu), et à ce niveau l’on a, selon C. Kerbrat-Orecchioni, affaire à un continuum. Il existe toutes sortes de variétés d’oral (on peut « parler comme un livre ») aussi bien que d’écrit (voir par exemple les « chats » et les « textos »).
C. Kerbrat-Orecchioni résume ainsi les propriétés de l’oral:225
(1) Existence d’un contact direct (auditif et généralement visuel) entre les interlocuteurs, ce qui entraîne une forte implication du locuteur et un forte inscription du destinataire dans le discours, alors qu’à l’écrit cette inscription emprunte généralement des voies plus discrètes, par exemple celles de présupposés ou allusions exploitant les savoirs partagés. Le discours oral est habituellement plus riche en marques énonciatives que le discours écrit.
(2) Forte dépendance des énoncés de leur contexte d’actualisation (on parle en CA de pratique « située »).
(3) Concomitance entre planification et émission du discours. Cette propriété concerne surtout la « parole spontanée » (fresh talk) que Goffman oppose à la « mémorisation » et à la « lecture à la voix haute », laquelle se reconnaît aisément à la prosodie (la lecture oralisée), mais aussi aux « ratés » qui lorsqu’ils se produisent ne sont pas du tout de même nature que dans la « parole fraîche ». L’élaboration du discours se fait pas à pas, et éventuellement en revenant sur ses pas, ce qui laisse des traces dans le produit lui-même. L’écrit s’élabore lui aussi progressivement: outre qu’à l’écrit, on peut prendre son temps (sauf encore une fois dans certaines pratiques comme les « chats » qui sont à cet égard comparables à l’oral), on peut aussi généralement effacer la rature, et substituer au brouillon la version corrigée, alors que c’est le brouillon qui est délivré à autrui dans le discours oral.
(4) Caractère multicanal et plurisémiotique (ou « multimodal »). Le discours oral exploite plusieurs canaux sensoriels (essentiellement les canaux auditif et visuel, alors que l’écrit est uniquement visuel), et plusieurs systèmes sémiotiques, que par commodité et en l’absence de toute terminologie consensuelle, K. Kerbrat-Orecchioni appelle « verbal », « paraverbal » et « non verbal ».226
Idéalement, l’analyse des interactions orales doit prendre en compte ce que Cosnier et Brossard appellent la « communication totale » (ou « totexte »).
La première et principale caractéristique du discours-en-interaction est – nous l’avons vu ci-dessus - qu’il est co-produit par plusieurs locuteurs qui parlent à tour de rôle. Sont donc à considérer d’abord comme interactivement pertinents les éléments qui sont mis au service de la gestion des tours – de leur alternance, mais aussi de leur conservation, qu’ils soient produits par le détenteur du tour ou par son partenaire d’interaction.
KERBRAT-ORECCHIONI C., Le Discours-en-interaction, op. cité, p.29.
Idem, p.p.29-35.
Voir ci-dessus.