4. 1. Les communications exolingue, endolingue et bilingue

L’analyse de conversation exolingue a fait l’objet des travaux du Groupe de recherche sur les situations de contact qui s’est constitué à Bielefeld sous la direction d’Ulrich Dausendschön-Gay, Elisabeth Gülich et Ulrich Krafft. 230

Nous avons donné la définition de la communication exolingue dans l’ Introduction Générale, tout en nous appuyant sur le point de vue de C. Kerbrat-Orecchioni.231 Elle observe que cette situation particulière impose aux deux participants des tâches et stratégies interactives spécifiques, qui laissent dans le discours un certain nombre de traces, stratégies de « facilitation », telles que la simplification, les corrections (auto- et hétéro-corrections auto- et hétéro-initiées) et autres types de « réparations », les reformulations paraphrastiques, les évaluations et commentaires métadiscursifs. Pour pouvoir surmonter ou du moins réparer partiellement son incompétence, il faut déjà être compétent.232

C. Kerbrat-Orecchioni constate que la communication en situation de contact impose aussi aux participants un travail de « figuration » particulièrement intense et délicat, car le locuteur non-natif (LNN) étant au départ plus ou moins fortement handicapé par rapport au locuteur natif (LN), sa « face » risque de se trouver perpétuellement menacée au cours de l’échange. Les deux partenaires vont donc déployer un certain nombre de stratégies – par exemple, l’auto-correction est très généralement « préférée » à l’hétéro-correction -, le LNN pour tenter de sauver sa propre face, et le LN pour ménager celle d’autrui; cela du moins si le LN se veut être bienveillant à l’égard du LNN.

Cette spécialiste d’analyse du discours souligne que quels que soient les efforts déployés de part et d’autre pour tenter de réparer à la fois les problèmes communicatifs qui surgissent au cours de l’échange, et les atteintes à la face du LNN, cette situation d’inégalité constitutive des participants ne va pas sans entraîner un certain nombre de malentendus, de « ratés » et de « moments inconfortables » dans la communication, rendus d’autant plus inévitables qu’aux carences linguistiques du LNN viennent généralement s’ajouter des divergences liées aux présupposés culturels des deux partenaires en présence.

C. Kerbrat-Orecchioni témoigne que dans certains cas, le sentiment d’inégalité des compétences est si prégnant qu’il imprime obsessionnellement sa marque à l’ensemble du discours, et que c’est à de telles situations que s’applique par excellence la notion de conversation exolingue.233 Ce type de communication est caractérisé par un déplacement fréquent de l’activité conversationnelle d’un niveau communicatif à un niveau métalinguistique, en raison des difficultés d’intercompréhension régulières, de la conscience qu’ont les interlocuteurs de leurs divergences communicatives et de la différence du répertoire linguistique mis en œuvre par le LNN.234

C. Kerbrat-Orecchioni a envisagé la communication en classe de langue comme une situation de communication exolingue idéale.235 Selon elle, la communication exolingue ne fait qu’intensifier les mécanismes qui caractérisent fondamentalement toute interaction.

Chiss J.-L. et al. 236 déterminent la situation exolingue en classe comme celle, « ... dans laquelle l'apprentissage se fait en milieu institutionnel comme langue autre que celle du vernaculaire237 de l'apprenant et/ou celle des pratiques langagières environnantes (L2), les situations intermédiaires se situant sur un continuum selon des variables liées à l'un ou l'autre des axes de variation. »

Dans l’ Introduction Générale, nous avons exposé, entre autres, les définitions des conversations endolingue et bilingue.238

Notes
230.

Voir: RIACHI M., Les Interactions verbales en classe de français…, op. cité, p.p. 40-42.

231.

Pages 22-23.

232.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Les Interactions verbales…, op. cité, p.p.121-122.

233.

Idem, p.123.

234.

RIACHI M., Les Interactions…,op. cité, p.41.

235.

Voir l’Introduction Générale, p.23.

236.

CHISS J.-L., DAVID J. et REUTER Y. (dir.), Didactique du français. Etat d’une discipline, Paris, Edition Nathan, 1995, p.26.

237.

Langue vernaculaire, c'est une langue utilisée au foyer familial, à la maison.

238.

Introduction Générale, p.23.