6. 0. La notion de compétence communicative

C. Kerbrat-Orecchioni nous rappelle que le terme de compétence vient de Chomsky et désigne l’ensemble des règles qui sous-tendent la fabrication des énoncés, conçu en termes d’aptitudes du sujet parlant à produire et interpréter ces énoncés (la compétence linguistique). Il est évident que ces aptitudes ne se réduisent pas à la seule connaissance de la « langue »: d’où l’élaboration par Hymes (à la fin des années soixante) du concept de compétence communicative , que l’on peut définir comme l’ensemble des aptitudes permettant au sujet parlant de communiquer efficacement dans des situations culturelles spécifiques.241

C. Kerbrat-Orecchioni précise que pour manipuler des énoncés à tous égards bien conformés, il faut disposer - outre la capacité de produire et interpréter des phrases « grammaticales » - des aptitudes de base suivantes:242

- Maîtriser le matériel paraverbal et non verbal assurant la communication.

- Maîtriser les règles d’appropriation contextuelle des énoncés produits (la « notion centrale », chez Gumperz et Hymes). Même une phrase anodine et assurément grammaticale Comment allez-vous ? est soumise à des règles d’utilisation passablement complexes: règle de « placement » dans l’interaction (cette question peut difficilement figurer ailleurs que dans la séquence d’ouverture), règles diverses d’appropriation contextuelle, par exemple: on ne peut adresser une telle question qu’à des « connaissances »; elle apparaît comme déplacée dans certains types de contextes institutionnels (un médecin peut et doit la poser à son patient, mais celui-ci peut difficilement l’adresser à son médecin); sa formulation serait inadaptée en situation familière, etc.

  • Exploiter l’ensemble des règles plus spécifiquement conversationnelles régissant l’alternance des tours de parole et la gestion des thèmes abordés, qui conditionnent le bon fonctionnement de divers types de négociations conversationnelles, etc.
  • Maîtriser un certain nombre de principes de politesse ou de « tact », qui déterminent toutes les contraintes « rituelles ».

Les « contraintes sociales » et les «règles linguistiques » sont, précise C. Kerbrat-Orecchioni, les composantes d’un « système communicatif  unique ». La compétence communicative apparaît alors comme un dispositif complexe d’aptitudes, où les savoirs linguistiques et les savoirs socio-culturels sont inextricablement mêlés et dont la connaissance est supposée partagée par les interactants.

C. Kerbrat-Orecchioni présente encore deux aspects qui différencient la compétence communicative de la compétence chomskyenne:243

  • Il s’agit d’une compétence adaptable et modifiable au contact de celle de l’autre. Les sujets qui entrent en interaction disposent nécessairement de compétences partiellement hétérogènes. Communiquer, c’est mettre en commun ce qui ne l’est pas d’emblée. Au cours du déroulement d’un dialogue « normal », certaines de ces disparités initiales en viennent à se neutraliser partiellement, en ce qui concerne aussi bien:
    • la compétence linguistique et paralinguistique des sujets en présence (phénomènes de mimétisme vocal, d’ajustement lexical, d’adaptation stylistique…);
    • leur compétence « encyclopédique », lorsque les informations fournies par L1 sont en principe immédiatement intégrées au système cognitif de L2, et réciproquement;
    • leur compétence conversationnelle, dans la mesure où les partenaires en présence négocient et ajustent en permanence (sur un mode symétrique ou dissymétrique) leurs conceptions respectives des normes interactionnelles.
  • La compétence chomskyenne est celle d’un « locuteur-auditeur idéal, appartenant à une communauté linguistique complètement homogène »; Hymes insiste au contraire sur la diversité des compétences, d’une communauté à l’autre, aussi bien qu’à l’intérieur d’une même communauté, et pour un même sujet. Dans toute communauté linguistique, les membres disposent d’une panoplie de « styles contextuels », le bilinguisme et le plurilinguisme n’étant que la manifestation extrême (et assez fréquente) de cette pluralité des registres fonctionnels. Le bilinguisme est en fait un phénomène de sélection entre plusieurs moyens linguistiques disponibles.

C. Kerbrat-Orecchioni qualifie ainsi la compétence communicative comme une hétérogénéité structurée , étant en grande partie implicite, dont l’existence échappe généralement à la conscience des utilisateurs, et que l’analyste a précisément pour tâche d’expliciter. Comme la compétence linguistique, la compétence communicative dans son ensemble s’acquiert, se développe, et peut éventuellement se dégrader.

Selon C. Kerbrat-Orecchioni, les techniques et les rythmes d’apprentissage varient beaucoup d’une culture à l’autre, en fonction des présupposés culturels et des représentations de l’étudiant qui caractérisent la société en question. Les techniques d’apprentissage ont, à leur tour, des incidences sur le développement de la compétence langagière et communicative. Généralement parlant, l’acquisition de la compétence communicative est un long processus; ses différentes composantes se mettent en place à des stades différentes de l’évolution de l’enfant et de l’apprenant.

C’est en contexte interlocutif, insiste C. Kerbrat-Orecchioni,que l’enfant et l’apprenant acquièrent l’ensemble de leurs compétences langagières, c’est-à-dire:

  • en situation, et par conséquent, « ce qui est acquis c’est, inséparablement, la maîtrise pratique du langage et la maîtrise pratique des situations qui permettent de produire le discours adéquat dans une situation déterminée »;
  • et dans le cadre de l’échange dialogal: ainsi l’enfant et le LNN ne peuvent-ils d’abord produire un récit que grâce à l’étayage dialogique des questions; ce n’est que dans un deuxième temps qu’il parviendra à construire de façon « monologale » un texte narratif cohérent. C’est pourquoi, le dialogue s’avère être premier par rapport au monologue, et la compétence communicative globale est première par rapport à la compétence linguistique, qui n’en constitue qu’un « extrait ».
Notes
241.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Les Interactions verbales…, op. cité, p.29.

242.

Idem, p.p.29-31.

243.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Les Interactions verbales…, op. cité, p.p.33-37.