7. 0. Les règles conversationnelles

La parole ordinaire est « organisée systématiquement et fortement », d’après C. Kerbrat-Orecchioni,244 et il revient à l’analyste de mettre à jour cette organisation.

Les règles conversationnelles sont orientées vers leur utilisation dans des situations réelles de communication. Ces règles sont des objets abstraits qui fondent et s’incarnent dans des pratiques observables. Ce sont pour la plupart des règles d’organisation séquentielle (il s’agit bien d’une sorte de « grammaire »), qui enchaînent selon des « patterns » plus ou moins contraignants différents types d’unités.

Les règles conversationnelles concernent par exemple les modalités de l’ouverture et de la clôture des interactions, la « machinerie » des tours de parole, l’organisation globale et locale des échanges. Mais les interactions obéissent aussi à d’autres types de principes régulateurs, comme les maximes conversationnelles ou les règles rituelles du face-work.

C. Kerbrat-Orecchioni définit la conversation comme une organisation obéissant à des règles d’enchaînement syntaxique, sémantique et pragmatique, à la grammaire des conversations. Les objets sur lesquels opèrent les règles sont communément appelés en linguistique « unités ». Ces unités sont de différents types – depuis les unités proprement linguistiques jusqu’aux unités plus spécifiquement conversationnelles.

En CA, précise C. Kerbrat-Orecchioni, les unités vedettes sont les « tours de parole » constitués d’« unités de construction des tours » et constituant des « paires adjacentes »; les tours et les paires adjacentes sont des unités de nature radicalement hétérogène, qui ne relèvent pas du même niveau d’organisation.

Les tours ainsi que les TCUs (turn-constructional units, ou « unités de construction des tours ») dont ils se composent, sont des unités qui appartiennent au niveau de surface de la conversation: ce sont des unités « pratiques », d’après C. Kerbrat-Orecchioni.245 A un premier niveau, le plus immédiatement visible, les conversations se présentent comme une succession de tours, et la première tâche des sujets conversants consiste à gérer l’alternance des tours. Mais la cohérence d’une conversation repose non sur l’enchaînement des tours, mais sur celui des unités fonctionnelles que les tours véhiculent, à savoir les « interventions » et les « échanges », ainsi que certaines unités de portée intermédiaire.

C. Kerbrat-Orecchioni définit léchange comme la plus petite unité dialogale. Ce rang est donc fondamental: c’est avec cet « échange » que commence le dialogue au sens strict.246

Les unités dialogales élémentaires ne sont pas toujours, ni des « paires », ni « adjacentes », souligne C. Kerbrat-Orecchioni. Les salutations ne fonctionnent par paires que dans les « dilogues ». Même dans les interactions duelles, les questions ouvrent le plus souvent une séquence ternaire, du fait que la réponse doit dans la plupart des contextes être suivie d’un accusé de réception (intervention dite parfois « évaluative ») qui peut prendre des formes et avoir des valeurs diverses.

L’invitation et l’offre déclenchent fréquemment un échange étendu. Ces unités élémentaires présentent souvent des configurations plus complexes du fait de l’existence, aux côtés des échanges linéaires, d’échanges « imbriqués », « croisés » et « enchâssés ». A la différence des actes directeurs, les actes subordonnés n’ont pas en principe pour vocation de déclencher une réaction propre.

C. Kerbrat-Orecchioni en déduit que les paires adjacentes constituent un cas particulier d’unités englobantes, qui sont généralement appelées « séquences » en CA. Les parties de paires sont simplement « logées » dans les tours. Ce sont, à la différence des tours, des unités de nature pragmatique qui réalisent un(e) acte (action, activité) spécifique, et que les tours n’ont d’autre fonction que de véhiculer. Les paires adjacentes et les séquences sont en fait constituées d’actes de langage, ou plus exactement d’interventions (en anglais moves), unités organisées autour d’un « acte directeur » éventuellement accompagné d’un ou plusieurs « actes subordonnés ». L’intervention est définie par C. Kerbrat-Orecchioni comme la contribution d’un locuteur particulier à un échange particulier.247

Dans le cadre de l’analyse de discours, les « séquences » de la CA sont appelées échanges: toute suite d’interventions (deux, trois ou plus) sous la dépendance d’une seule et même intervention initiative. C. Kerbrat-Orecchioni définit la séquence comme un bloc d’échanges reliés par un fort degré de cohérence sémantique (on retrouve là le critère thématique) et/ou pragmatique (« adhésion » à un seul « but », ou une seule et même « tâche »). Selon la nature du contenu de la séquence envisagée, c’est tantôt l’aspect sémantique, tantôt l’aspect pragmatique qui guidera de façon prédominante l’opération de découpage.

Par l’interaction (ou « une rencontre »), C. Kerbrat-Orecchioni entend l’ensemble de l’interaction qui se produit en une occasion quelconque quand les membres d’un ensemble donné se trouvent en présence continue les uns des autres. Une interaction est « délimitée  par la rencontre et la séparation de deux interlocuteurs ».248

Généralement, C. Kerbrat-Orecchioni distingue cinq principaux « rangs » emboîtés, de bas en haut: acte de langage, intervention, échange (la plus petite unité construite par au moins deux participants), séquence (en un sens différent de celui utilisé en CA), et interaction. Les frontières des échanges ne coïncident qu’exceptionnellement avec les frontières des tours, dans la mesure surtout où un même tour peut comporter plusieurs interventions, soit successives, soit amalgamées du fait de l’existence des actes de langage indirects.

Notes
244.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Le Discours-en-interaction, op. cité, p. 56.

245.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Le Discours-en-interaction, op. cité, p.p. 58-59.

246.

Idem, p.59.

247.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Le Discours-en-interaction, op. cité, p.60.

248.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Les Interactions verbales…, op. cité, p.214.