9. 0. La notion de négociation en analyse du discours-en-interaction

Pour que les participants à l’interaction puissent parvenir à construire ensemble cette sorte particulière de texte qu’est une conversation, encore faut-il que s’établissent entre eux un certain nombre d’accords sur les règles du jeu de langage dans lequel ils se trouvent conjointement engagés. Le plus souvent, ces accords s’établissent spontanément. Mais lorsque des désaccords sur tel ou tel aspect du fonctionnement de l’échange surgissent soudainement et si les participants désirent que l’interaction se poursuive sur un mode relativement harmonieux, ils devront recourir à un certain nombre de procédures visant à résorber le désaccord: ce sont ces mécanismes d’ajustement des comportements mutuels que C. Kerbrat-Orecchioni appelle « négociations conversationnelles ».256

Toute négociation présuppose un groupe d’au moins deux négociateurs, comprenant d’abord les personnes directement impliquées dans le désaccord, mais qui peuvent aussi être assistées (voire remplacées) dans leur tâche par un ou plusieurs tiers extérieur(s) au débat, appelés « médiateurs » dont la fonction est de résoudre toutes sortes de conflits.

C. Kerbrat-Orecchioni considère que pour qu’il y ait négociation il faut d’une part, qu’il y ait désaccord initial; et d’autre part, que les sujets manifestent un certain désir (réel ou feint) de restaurer l’accord. La négociation est exclue, lorsque l’accord est rétabli immédiatement, comme dans le cas de l’« ajustement ».

Les « négociations conversationnelles » peuvent aussi concerner, selon C. Kerbrat-Orecchioni, les ingrédients qui composent la matière même de la conversation: le « script » général de l’échange, l’alternance des tours de parole, les thèmes traités, la valeur sémantique et pragmatique des énoncés échangés, les opinions exprimées, le moment de la clôture. La longueur de la séquence négociative peut varier considérablement et elle peut surgir à tout moment du déroulement de l’échange, mais c’est dans la phase initiale que la densité des mécanismes d’ajustement est la plus forte. Les identités des participants et leur relation mutuelle sont elles-mêmes l’objet de remaniements permanents au cours du déroulement de l’interaction. Les négociations se disséminent donc tout au long de la trame conversationnelle, jusqu’à la clôture de l’interaction.

Les négociations conversationnelles se déroulent le plus souvent sur un mode implicite, ne recourant qu’exceptionnellement à ces « grands moyens » que sont les énoncés métacommunicatifs, qui manifestent et même « exhibent » le désaccord. La stratégie implicite consiste à interrompre le locuteur (ce qui crée généralement un chevauchement de parole), et à répéter le segment couvert en haussant le ton jusqu’à ce que le terrain soit enfin dégagé.

C. Kerbrat-Orecchioni estime que la négociation peut aboutir à sa réussite: par compromis (les deux participants se rapprochent mutuellement pour s’accorder sur un « terrain d’entente ») ou par ralliement spontané (l’un des deux participants accepte de son plein gré de s’aligner sur la position de l’autre; il « s’écrase » et « tombe d’accord » avec son partenaire: l’un des deux négociateurs se trouve placé en « position basse » par rapport à son partenaire).

C. Kerbrat-Orecchioni appelle « négociation conversationnelle » tout processus interactionnel susceptible d’apparaître dès lors qu’un différend surgit entre les interactants concernant tel ou tel aspect du fonctionnement de l’interaction, et ayant pour finalité de résorber ce différend afin de permettre la poursuite de l’échange.257

Toute conversation est, selon C. Kerbrat-Orecchioni, une succession de « mini-incidents de parcours » aussitôt neutralisés, et c’est seulement au prix d’un incessant travail de bricolage interactif que les interactants parviennent à construire ensemble un « texte » à peu près cohérent. Les mécanismes négociatifs peuvent concerner aussi bien les aspects organisationnels de l’interaction (tours de parole, ouverture et clôture, structuration des échanges), que ce qui relève de son contenu (thèmes traités, signes manipulés, interprétations effectuées, opinions avancées), ou du niveau de la relation interpersonnelle.

Notes
256.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Le Discours-en-interaction, op. cité, p.94.

257.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Le Discours-en-interaction, op. cité, p.103.