Dans certaines situations les interlocuteurs ont avant toute chose à négocier la langue dans laquelle ils vont le plus commodément communiquer. C’est ainsi le cas en « situation de contact » (les interlocuteurs ne partagent pas la même langue maternelle), ou dans les communautés bilingues ou plurilingues, qui constituent, d’après Auer, environ la moitié de la population de la planète.258
Dans de telles situations, affirme C. Kerbrat-Orecchioni, plusieurs solutions s’offrent aux locuteurs pour communiquer: ils peuvent garder chacun sa langue de prédilection, ou adopter un système commun qu’ils conserveront tout au long de l’échange (langue de l’un d’entre eux, le locuteur natif se voyant favorisé dans l’interaction par rapport au locuteur non natif); ils peuvent aussi pratiquer l’alternance codique (code switching). A travers la langue retenue, c’est toujours l’identité des interlocuteurs qui se joue, ainsi que leur « rapport de places ». La négociation concerne plutôt les détails du déroulement de l’interaction. Tout événement communicatif a lieu dans un cadre participatif particulier, dont certains éléments sont stables quand d’autres varient au cours de l’interaction. En ce qui concerne le format de réception, la ratification et l’adressage sont en permanence négociés entre les participants, par des procédés aussi bien verbaux que non verbaux. Plus le nombre des participants est grand, et plus le risque des malentendus s’accroît, qui nécessite l’intervention d’une négociation, explicite (« C’est à moi que tu parles ? », « C’est à vous, s’il vous plaît, que ce discours s’adresse »), ou implicite, par le jeu surtout des regards et autres manifestations mimiques. Le phénomène d’alternance des tours de parole est un phénomène local par excellence – les tours sont négociés au coup par coup par les interlocuteurs dès lors que leurs prétentions à cet égard entrent en conflit. Ces négociations peuvent être fort diverses quant à leur durée ainsi que les modalités de leur gestion - plus ou moins violente ou courtoise -, et se réaliser par des moyens implicites (hausser la voix, répéter patiemment le segment couvert) ou explicites (recours à une formule métacommunicative: « attends », « une seconde s’il te plaît », « à toi je t’écoute », etc.).
C. Kerbrat-Orecchioni est persuadée que le fonctionnement des interruptions ne peut pas être analysé indépendamment de la prise en compte des autres niveaux, comme le contenu des énoncés et le statut des énonciateurs.
Toute interaction est encadrée par des séquences liminaires chargées d’assumer son ouverture et sa clôture. Impliquant un changement d’état, ces épisodes interactionnels sont particulièrement délicats pour les interlocuteurs. La langue met à notre disposition des ressources spécifiques appropriées à la gestion de ces activités conversationnelles.
D’une manière générale, toute séquence d’ouverture a pour fonction, selon C. Kerbrat-Orecchioni, de mettre en place les conditions de possibilité de l’échange, conditions aussi bien physiques (il faut que le canal soit ouvert et qu’aucun obstacle ne s’interpose, que les interlocuteurs se trouvent placés à la « bonne distance », et installés aussi commodément que possible compte tenu des contraintes du site), que psychologiques (condition de « validation interlocutoire »: les participants à l’échange doivent être d’accord pour que celui-ci ait lieu, et s’admettre mutuellement comme « interlocuteurs valables »).
AUER P., Bilingual Conversation, Amsterdam/Philadelphia, John Benjamins, 1984.