9. 2. Les négociations au niveau du contenu

Dans une situation communicative donnée, certains thèmes sont appropriés, d’autres ne le sont pas - pour différentes raisons: les contraintes du script, les règles de l’étiquette, ou le principe de délicatesse. On ne parle jamais de « n’importe quoi » ni non plus « n’importe comment ».

Selon C. Kerbrat-Orecchioni, le processus discursif de la verbalisation comporte deux aspects:261la mise en mots (qui consiste à faire entrer, parfois au forcing, des contenus cognitifs particuliers dans les moules lexicaux qu’offre la langue; ce travail dont les traces sont des auto-corrections et retouches est une activité essentiellement solitaire, même si elle peut être « assistée », grâce à la collaboration de l’interlocuteur); la gestion des désaccords sur l’emploi des mots (ou « négociation sur les signes »; c’est une activité fondamentalement interactive). Les différentes formes de négociations sur les signes sont fréquentes dans tous les types d’interactions. Elles s’observent évidemment plus massivement encore dans les échanges impliquant à un titre ou à un autre un processus d’apprentissage de la langue (dialogue entre adulte et enfant, locuteur natif et non natif, expert et profane, etc.). Cette fréquence tient à deux raisons principales: la disparité des compétences et l’importance des enjeux dénominatifs.

Dicter sa loi, c’est imposer son vocabulaire. Mais aussi: imposer son vocabulaire à autrui, c’est d’une certaine manière « en avoir raison », estime C. Kerbrat-Orecchioni. C’est seulement dans le mouvement du dialogue que le sens des mots devient ce qu’il est. L’interaction se laisse en partie définir comme un lieu de co-production du sens des mots. Lorsqu’on parle de « négociation d’un acte de langage », par exemple d’une offre, l’expression peut renvoyer à deux phénomènes différents, correspondant à deux étapes séquentielles successives: en amont, négociation de la valeur illocutoire de l’énoncé (est-ce bien une offre ?), et en aval, négociation de la réaction, fréquente dans un tel cas.

Le malentendu est un problème d’interprétation, affirme C. Kerbrat-Orecchioni, c’est-à-dire que dans « mal-entendu » il faut prendre « entendre » au sens ancien de « comprendre ». Tous les types de négociables, dans la mesure où ils impliquent un processus interprétatif, peuvent prêter à malentendu: le moment de la prise de tour ou de la fin de la rencontre, la conception du script, la nature ou l’identité du destinataire. Les malentendus concernent par excellence l’interprétation d’un énoncé ou d’un segment d’énoncé. Plus précisément, le malentendu consiste, selon C. Kerbrat-Orecchioni, en une divergence d’interprétation entre les deux interlocuteurs A et B (pour en rester au cas le plus simple d’un échange dyadique). Le malentendu est constitutivement un phénomène interactif.

Il y a, durant un certain temps, inconscience du désaccord de la part de l’une des parties au moins, et la négociation du malentendu impliquera donc avant toute chose la prise de conscience de cette divergence interprétative.

C. Kerbrat-Orecchioni remarque que l’élément linguistique à la source du malentendu peut être de nature diverse: celui-ci peut reposer sur le découpage de la chaîne signifiante (« un des avantages de cette solution » vs « un désavantage de cette solution »), sur un fait de polysémie/homonymie lexicale ou syntaxique, sur un phénomène de dialogisme, sur le « ton » de l’énoncé, ou sur l’identification d’un acte de langage. La divergence interprétative peut ainsi être imputable au système de la langue, comme aux interlocuteurs (défaut de clarté dans la formulation de l’énoncé, ou en ce qui concerne le récepteur, défaut d’attention, déficit linguistique et/ou culturel (c’est en particulier le cas dans les contextes de communication exolingue ou interculturelle)). Les formes que peut prendre le malentendu varient avec le contexte et le type d’interaction où il survient.

Le traitement du malentendu va évidemment dépendre de ces différents facteurs.

C. Kerbrat-Orecchioni observe que d’une manière générale, les malentendus qui portent sur le sens dénotatif imposent plus une résolution immédiate que ceux qui portent sur le sens connotatif, lesquels sont en apparence moins « graves ». Certains malentendus peuvent même ne pas être perçus (sauf éventuellement par l’analyste) ou être perçus par l’un et/ou l’autre des participants, mais non traités, pour différentes raisons (parce qu’il est trop tard, parce que cela risquerait de mettre en péril sa face ou celle d’autrui, ou tout simplement parce que les interlocuteurs estiment que « cela ne vaut pas le coup »). Le traitement du malentendu peut intervenir après coup (après un laps de temps plus ou moins long). Mais comme le remarque Schegloff, plus le traitement est différé, et moins la tâche est aisée.

C. Kerbrat-Orecchioni constate que la durée du processus du traitement du malentendu (la longueur de la séquence concernée) peut avoir une extension variable. Elle peut comporter deux tours de parole au moins.Cet « arrêt sur sens » interrompt provisoirement et donc ralentit le cours normal des activités conversationnelles. Le plus souvent, on se contente de discrets ajustements, on s’accommode d’un consensus approximatif.

Notes
261.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Le Discours-en-interaction, op. cité, p.131.