10. 2. Une nécessité sociale absolue de la politesse

La formulation polie est généralement préférée. La notion de préférence renvoie à une idée de « norme » et de système d’attentes. Le champ d’application de la notion s’est restreint à la question de l’« organisation préférentielle des échanges » (ou des paires adjacentes dans la terminologie de la CA). Selon C. Kerbrat-Orecchioni, la préférence relève d’une sorte de psychologie collective, inscrite dans le système linguistique. L’enchaînement préféré est assimilable à l’enchaînement qui donne la meilleure satisfaction au système du face-work. Il n’est pas toujours assimilable à l’enchaînement le plus économique, comme le prouve le cas du compliment ou celui de l’offre.

C. Kerbrat-Orecchioni souligne que la politesse, si on ne la réduit pas à quelques « formules » stéréotypées, mais si on l’étend à l’ensemble des formes que peut prendre le face-work, est omniprésente dans le discours-en-interaction.

L’approche « structurelle » de Sacks (et plus généralement de la CA) et l’approche « ritualiste » de Goffman ont en commun le refus de décrire les énoncés isolément, s’intéressant surtout à la coordination des actions au sein d’une « paire adjacente » pour Sacks, et pour Goffman, d’un échange fait de deux mouvements successifs, la « prestation » et la « contre-prestation ».270 Goffman considère que l’approche purement grammaticale de Sacks est insuffisante pour comprendre la dimension sociale de l’activité de salutation, par exemple. Les phénomènes séquentiels méritent d’être non seulement décrits, mais également expliqués.

D’après C. Kerbrat-Orecchioni, au-delà de ses vertus décoratifs, la politesse est d’une absolue nécessité sociale. Les formules de politesse ont une valeur plus symbolique que littérale. Il suffit de s’observer soi-même, et de constater les petites frustrations et les grandes colères que déclenche le moindre manquement aux règles de la politesse. L’étude des corpus illustre le fait que la politesse se caractérise par ses capacités à s’adapter au contexte.

C. Kerbrat-Orecchioni estime qu’il est commode de distinguer deux classes de règles de conduite: les règles symétriques (lorsque chaque individu a par rapport aux autres les mêmes obligations et attentes que ceux-ci ont par rapport à lui) et les règles asymétriques (lorsqu’on traite les autres autrement que l’on est traité: les docteurs donnent des consignes aux infirmières, mais la réciproque n’est pas vraie).

Dans la plupart des situations communicatives, constate C. Kerbrat-Orecchioni, la politesse apparaît bien comme un dispositif à maintenir ou restaurer l’équilibre rituel entre les interactants, et corrélativement, à fabriquer du contentement mutuel – la « satisfaction » à laquelle vise l’échange concernant le niveau relationnel aussi bien que transactionnel.

Notes
270.

CONEIN B., « Pourquoi doit-on dire bonjour ? (Goffman relu par Harvey Sacks) », dans: Le Parler frais d’Erving Goffman, Paris, Minuit, 1989, p.p.196-208.