11. 2. La notion d’éthos

En pragmatique contrastive, le mot « éthos » désigne le « profil communicatif » ou « style interactionnel préféré » d’une société donnée. L’éthos individuel s’ancre dans l’éthos collectif et inversement, l’éthos collectif n’est appréhendable qu’au travers des comportements individuels dans lesquels il vient s’incarner (ce sont les individus qui par leur comportement confirment et consolident les valeurs du groupe, en attestant du même coup leur adhésion à ces valeurs collectives).

C. Kerbrat-Orecchioni distingue trois niveaux de localisation de l’éthos, du plus « superficiel » au plus « profond », et corrélativement, du plus « micro » au plus « macro »:274

(1) Niveau de surface: on identifie des faits isolés culturellement pertinents – mots-clefs, termes d’adresse, formules rituelles, actes de langage, comportements proxémiques, etc. – qui peuvent déjà orienter vers certaines pistes en matière d’éthos.

(2) Dans un deuxième temps et à un deuxième niveau, on regroupera des marqueurs de nature diverse mais de signification à certains égards commune, afin de tenter de reconstituer le profil communicatif (ou style conversationnel) de la communication considérée. Il est en effet permis de penser que les différents comportements communicatifs d’une même communauté font « système ».

Pour caractériser une société à un profit « hiérarchique », C. Kerbrat-Orecchioni propose de regrouper les divers types de « taxèmes »: usage dissymétrique des salutations, distribution inégale des tours de parole et des « initiatives », fonctionnement des termes d’adresse et des honorifiques (si la langue en possède), formulation des actes de langage (adoucissement à sens unique des actes « menaçants » et plus généralement, obligations de politesse non réciproques), etc.

Pour décrire une société comme relevant d’un style communicatif « proche », elle conseille de tenir compte des comportements proxémiques, de la fréquence des contacts oculaires et gestuels, ainsi que de la facilité avec laquelle les locuteurs utilisent des formes d’adresse familières et donnent accès à leur territoire privé, spatial (invitations) ou informationnel (confidences et autres formes de la parole intime).

C. Kerbrat-Orecchioni reconnaît que pour un même axe (comme ceux de la distance horizontale et verticale), une même société puisse se voir attribuer des caractéristiques opposées selon l’angle sous lequel on l’envisage. Or les profils communicatifs sont généralement présentés comme de simples constellations de traits, qui relèvent bien de diverses dimensions mais non articulées entre elles.

(3) Si le plus souvent la pragmatique contrastive s’en tient à ce niveau 2, l’ethnographe envisage un troisième niveau, plus « profond » ou « macro », où se trouve regroupé l’ensemble des valeurs constitutives d’une culture donnée, lesquelles se manifestent dans les styles communicatifs et dans toutes sortes d’autres comportements sociaux. C’est à ce troisième niveau que se localise véritablement l’éthos.

On peut ambitionner de dégager plutôt de grandes tendances générales, et toujours relatives de l’éthos communicatif.

C. Kerbrat-Orecchioni remarque que la recherche interculturelle a toujours quelque chose de frustrant, et qu’il est impossible d’analyser le fonctionnement et d’interpréter les dysfonctionnements de la communication interculturelle sans avoir au préalable une connaissance précise des normes propres aux différents locuteurs en contact.

Notes
274.

KERBRAT-ORECCHIONI C., Le Discours-en-interaction, op. cité, p.p.304-306.