1. 1. Les rôles de l’enseignant

R. Bouchard estime que l’enseignant qui a planifié à l'avance l'interaction doit tenter d'atténuer cette ambiguïté sur les finalités à court ou à long terme de son projet pédagogique. Plusieurs moyens sont mis à sa disposition par notre tradition communicative. Dans le cours de la leçon, le plus général est, selon R. Bouchard, la question pédagogique et l'échange ternaire qui permettent une gestion régulière de l'interaction. L’enseignant met ainsi à la disposition de ses étudiants un « format » interactionnel stable sur la récurrence duquel ils peuvent s'appuyer localement. Ce format d'autre part est rendu plus facilement perceptible grâce à une riche ponctuation sonore (les « alors » et autres « particules énonciatives »276). Mais ce sont surtout des préalables développés qui viennent préciser les finalités du projet didactique en instance de réalisation. Le professeur en début d'année peut, estime R. Bouchard, annoncer précisément (de manière variable, suivant l'age des apprenants) les étapes de son enseignement. Ces préalables métadiscursifs se rencontrent au début de chaque leçon. Ils explicitent le projet de séance à venir en l'articulant par un rappel, à la séance précédente.

R. Bouchard constate par ailleurs que l’enseignant a non seulement le pouvoir d'organiser les épisodes à venir mais aussi celui de réorganiser a posteriori les épisodes précédents.

Il précise que les interactions en classe ne sont pas purement verbales, parfois elles mettent en jeu des objets qui sont soit le but de l'interaction, soit son support. Non seulement les documents structurent chaque cours mais ils peuvent servir aussi à articuler les cours entre eux, en faisant une cohésion à l'ensemble fragile de ces séances d'enseignement plus ou moins dispersées dans le temps.

R. Bouchard en déduit que l'interaction pédagogique ne peut être étudiée que dans son contexte, en tenant compte des objets fixes ou passagers qui l'encadrent ou sur lesquels elle rebondit. « A l'intérieur » du contexte général, mondain, peut être créé en situation de travail un contexte spécifique organisé autour de la finalité de la tâche en cours. Dans ce contexte fermé, les participants comme les objets présents se redéfinissent strictement en fonction de cette tâche, comme acteurs (médecin-patient, étudiants-enseignant, etc.), outils, matériaux, etc.

De ce point de vue, constate R. Bouchard, la situation pédagogique étudiée est cernée par une double limite. On assiste d'une part à la construction « artificielle » d'un contexte de travail spécifique, défini par les contraintes de l'enseignement de chaque discipline. R. Bouchard l'appelle le laboratoire d'apprentissage. D'autre part, se constitue au niveau de l'Institution, un contexte éducatif, de caractère plus global. R. Bouchard reconnaît que l’enseignant est souvent amené à jouer son rôle à la limite de ces deux frontières, passant d'un instant à l'autre d'un rôle d'enseignant à un rôle d'éducateur. En tant qu'éducateur, il a pour rôle « naturel » de renforcer des comportements sociaux positifs, comme le calme, l'auto-contrôle, le travail... En tant qu'enseignant, il doit inculquer des savoirs et des savoir-faire spécialisés. Enfin, en tant que responsable du polylogue, il doit assumer un rôle mixte, d'enseignant-éducateur. Il a à faire respecter les règles techniques et sociales de la prise de parole en public et à distribuer celle-ci entre ses nombreux interlocuteurs.

Notes
276.

Voir les pages 152, 172-173.