1. 3. Des polylogues pédagogiques

L’étude pragmatique des interactions pédagogiques « ordinaires » engage R. Bouchard de s’intéresser à des « leçons » en tant qu’« incursions » pédagogiques de base autant sinon plus qu’à des moments pédagogiques particuliers (correction d’exercice, interrogation d’élève au tableau, etc.). Cela demande de prendre en compte l’ensemble des participants de ces leçons, l’enseignant et les apprenants dans leur individualité.

Dans la mesure où ces événements interactionnels mêlent actions verbales et actions non verbales, il se voit situé dans une pragmatique de la « quatrième génération », après les théories de l’énonciation, la pragmatique des actes de parole et la pragmatique conversationnelle.

R. Bouchard considère des interactions en classe comme polylogues praxéologiques, inégaux, ritualisés. Il effectue ses recherches dans le champ de la didactique des langues – avec des outils pragmatiques adaptés. Des interactions pédagogiques dans leur spécificité permettent un élargissement de l’expérience de la « pragmatique interactionnelle » longtemps confinée à des situations trop purement conversationnelles ou en tout cas dialogales.

L’itinéraire qui mène, en linguistique française, le chercheur à l’étude du polylogue, est envisagé par R. Bouchard comme la poursuite logique de celui qui a fait s’intéresser progressivement les spécialistes contemporains de l’oral à la langue (C. Blanche-Benveniste), puis au fonctionnement contextuel des discours monologuaux (C. Kerbrat-Orecchioni), puis à leur réalisation interactionnelle la plus fréquente, la conversation (E. Roulet et C. Kerbrat-Orecchioni), et enfin à d’autres réalisations moins fréquentes peut-être mais d’une incontestable importance professionnelle ou sociétale, les polylogues. Une étape a été manifestée par des travaux de C. Kerbrat-Orecchioni & C. Plantin sur les trilogues marquant la disparition du principe de l’alternance réglée des tours de parole entre les participants. Si on réduit le trilogue à un dilogue mettant face à face un participant et la « coalition » constituée par les deux autres, on pourra, à son tour, ramener le polylogue à un trilogue constitué – dans le domaine des interactions didactiques par exemple – d’un dilogue enseignant – apprenant (interrogé), augmenté d’un troisième participant collectif, le reste de la classe. Le trilogue deviendrait alors, postule R. Bouchard, le modèle simplifié et économique pour chercheur de toutes les interactions qui excèdent le dilogue.

R. Bouchard considère tous les apprenants se trouvant en salle d’études comme des participants ratifiés des polylogues pédagogiques, même si un interlocuteur peut être plus « visé » à un certain moment que les autres. D’un point de vue plus didactique, le but de l’interaction pédagogique est que tous les apprenants présents apprennent. Ce but est partagé par tous les étudiants, ayant conclu a priori le même « contrat didactique ». Que ces apprenants soient interrogés ou non-interrogés, ils sont toujours présents et en situation de co-action. La prise en compte effective du nombre de participants semble donc à R. Bouchard objectivement la meilleure solution, car à la fois la plus respectueuse des données et à terme la plus fiable dans le traitement pragma-didactique de ces données. Il y ajoute que le jeu des voix est particulièrement important dans le travail d’hétéro-reformulation qui fonde une part importante du dialogue didactique.