1. 7. La mise en place d’une organisation hiérarchique enseignante

Il s’agit du postulat d’une organisation (programmée et on-line) manifestée ostensiblement par l’enseignant (en général) afin de favoriser la synchronisation de la co-action et sa progression vers un « terme » coïncidant avec les limites arbitraires de la séance.

R. Bouchard et V. Traverso 277 considèrent important, ne serait-ce que pour faciliter l’intercompréhension entre chercheurs en didactique, de stabiliser les termes souvent proches (activité, phase, moment, tâche, épisode, étape, pas, etc.) utilisés par les uns et les autres et dont on peut penser qu’ils désignent des phénomènes proches. Ces unités sont des unités praxéologiques (basées sur des comportements verbaux et non verbaux et sur le maniement d’objets (image, textes dans le cas présent)). Pour les situer par rapport aux unités postulées par l’analyse du « discours en interaction »278, elles se situent entre l’« incursion » (ou « interaction ») et l’« échange » et se substituent à l’unité « transaction » (ou « séquence d’échanges »). Cette substitution est nécessaire dans la mesure où la seule « transaction » postulée pour l’analyse des conversations est trop globale, et insuffisante pour rendre compte d’interactions plus longues et plus planifiées comme la « leçon ». Ce fait même amène R. Bouchard et V. Traverso à postuler d’entrée de jeu un nombre plus important de rangs intermédiaires entre la leçon et l’échange, afin de rendre compte des négociations entre partenaires de l’action didactique. Dans son article « Le « Cours », un événement oralographique structuré. Étude des interactions pédagogiques en classe de langue et au-delà… », R. Bouchard a fait l’hypothèse de l’existence des quatre rangs intermédiaires entre « séance et « échange »:279 les « activités » et les « échanges » d’une part, les « épisodes » et les « étapes » d’autre part. Il a émis sa version d’une organisation hiérarchique des unités intermédiaires, en s’appuyant sur les hypothèses de Sinclair & Coulthard reprises par Roulet et C. Kerbrat-Orecchioni.

Le modèle de R. Bouchard implique ainsi plusieurs rangs, du fait de la longueur de l’interaction, de sa nature à la fois collective et institutionnelle: développement de l’unité « transaction » sur un nombre non limité de rangs (variable suivant les pratiques et valeurs professionnelles des enseignants).

Sinclair et Coulthard se sont intéressés essentiellement aux plus petits unités « discursives », se manifestant dans la conversation: l’acte, l’intervention et l’échange. En ce qui concerne des grandes unités « praxéologiques » indispensables pour décrire cet événement long et méthodologiquement organisé qu’est un « cours » de langue, la question continue à se poser.

Roulet prenait en compte cinq rangs différents de l’analyse des interactions, ceux de l’acte de discours, de l’intervention, de l’échange, de la transaction et de l’incursion. L’acte est défini comme la plus petite unité monologale et l’intervention comme la plus grande unité du même type, alors que l’échange et l’incursion sont respectivement la plus petite et la plus grande unité dialogale. L’échange constitue l’unité centrale de l’interaction. Il est défini comme un échange « réparateur », se réalisant par l’association de trois interventions, les unités de rang immédiatement inférieur. Ce dispositif interactionnel ternaire pouvait être considéré comme spécifiquement pédagogique, son rôle étant de différer dans le temps l’apport d’information.

L’échange pédagogique se spécifie alors de la manière suivante, d’après R. Bouchard:280

  • première intervention: « fausse » question pédagogique comme moyen de différer l’apport d’information tout en mobilisant l’attention des apprenants; l’enseignant connaît le plus souvent la réponse à la question qu’il pose contrairement aux vraies questions de la vie quotidienne;
  • deuxième intervention: réponse d’un apprenant (sélectionné à cet effet);
  • troisième intervention: évaluation mais surtout apport de l’information « officielle » par l’enseignant qui répète la « bonne » réponse de l’étudiant et/ou la reformule.

Si les rangs « inférieurs », l’acte, l’intervention (« move ») et l’échange sont stables quelle que soit l’activité sociale en cours par contre, les rangs supérieurs dépendent étroitement de la nature de cette activité, souligne R. Bouchard.

Germain a élaboré la définition des « didactèmes »281 dans le but de décrire des épisodes didactiques au sein de corpus spécialisés enregistrés dans les pays très différents.

La « séance », l’équivalent de l’incursion de Roulet et al.282 et de la « lesson » de Sinclair et Coulthard,283 correspond pour sa durée à une norme institutionnelle et pour sa distribution dans la semaine à un emploi du temps établi par une instance administrative. Chaque incursion, qu’elle soit pédagogique ou non pédagogique, implique un préambule et une clôture qui ont pour rôle à la fois social et pédagogique d’opérer un double lien, d’une part entre pratiques de classe et pratiques « à la maison » et d’autre part entre pratiques de classe s’articulant entre elles au sein des « cours » successifs. L’existence d’un préambule et d’une clôture de la séance permet matériellement la sortie-rangement du matériel didactique, conclut R. Bouchard. Il estime que ces moments liminaires servent aussi à rendre explicite leur intégration à une leçon et à un programme de plus grande taille. Régies par une autorité supérieure, elles sont closes par une manifestation (sonnerie) indépendante des participants et qui interrompt de droit l’activité didactique en cours même si celle-ci n’est pas terminée. Les « petites » unités intermédiaires laissent plus de liberté aux participants.

Ainsi, les activités et les phases dépendent de l’enseignant, tandis qu’avec les « épisodes » et les « étapes » - unités de gestion locale - la parole apparaît comme plus donnée aux apprenants, à qui on demande de parler et de prendre de l’autonomie.

Notes
277.

BOUCHARD R. & TRAVERSO V., « Objets écrits et processus d’inscription entre la planification et émergence. Étude praxéologique d’une « séance » d’anglais en Lep », dans: Durand-Guerrier V. & Guernier M.-C. (eds.), Interactions verbales, didactiques et apprentissages, Presses Universitaires de Franche Comté, 2006.

278.

Cf. ROULET E., La Description de l’organisation du discours, LAL-Hatier, 1999; KERBRAT-ORECCHINI C., Le Discours-en-interaction, 2005, op. cité.

279.

BOUCHARD R., « Le « Cours », un événement oralographique… », op. cité, p. 69.

280.

BOUCHARD R., « Le « Cours », un événement oralographique… », op. cité, p. 67.

281.

GERMAIN C., « Le Didactème, concept-clé de la didactologie ? », In numéro spécial des Études de linguistique appliquée (en hommage à Robert Galisson), 2001, p.p.455-465.

282.

ROULET E. et al., L’Articulation du discours en français contemporain, Berne, P. Lang, 1985.

283.

SINCLAIR J.-M. & Coultard R. M., Towards an Analysis of Discourse, Oxford, OUP, 1975.