2. 0. Communication et métacommunication dans la classe de langue étrangère289

L’observation et l’analyse de diverses classes de LE réalisées dans différents cadres institutionnels ont persuadé Louise Dabène de la nécessité d’un appareil de description spécifique à ce type particulier de dialogue.

Elle s’était interrogée en amont sur les conditions de production de ces échanges, surtout sur les statuts des partenaires en présence, eta constaté que le dialogue en classe de LE est presque entièrement déterminé par ses conditions de production. Il s’agit d’un échange totalement imposé par l’Institution, en ce qui concerne le public d’apprenants, le choix de l’enseignant et des méthodes employées, les formes d’évaluation et de certification. Ce type de dialogue repose essentiellement sur une dissymétrie des locuteurs devant le code de communication employé. La réduction de cette dissymétrie est la mission confiée par la société à l’enseignant, et elle constitue la seule finalité de l’échange. C’est avec raison que R. Van Dijk classait le discours pédagogique parmi les « textes de l’enfermement », au même titre que l’interrogatoire policier ou la consultation médicale.290

L. Dabène montre que tout se passe comme si, préalablement à tout échange, la classe débutait par une sorte de « dialogue de prise de rôle », où l’enseignant enjoindrait à l’apprenant de parler, tout en précisant qu’il lui en fournira directement ou indirectement les moyens et jugera la correction des productions verbales. Réciproquement, l’apprenant acceptera le risque de la prise de parole.

La chercheuse nous présente un double niveau de communication: l’échange banal entre enseignant et apprenant(s) est en quelque sorte doublé d’un second échange qui est métacommunication.

Le niveau métacommunicatif se traduit à travers la gestion par l’enseignant de l’ensemble des productions langagières du groupe. Cette gestion met en jeu, selon L. Dabène, trois fonctions principales que l’enseignant assume conjointement ou alternativement:291

  • une fonction de vecteur d’information. L’enseignant est mandaté par l’Institution pour transmettre un certain savoir. Cela peut se faire tantôt indirectement par des documents d’appui de nature diverse, tantôt directement par un discours descriptif explicite plus ou moins systématiquement organisé. Cette fonction, plus ou moins intériorisée par l’enseignant, est à l’origine d’intéressants phénomènes de mimétisme caractéristiques de bien des professeurs de langues étrangères non natifs – si tant est que la fréquentation assidue d’une langue et d’une culture étrangères n’est pas sans influencer plus ou moins profondément le comportement et même la personnalité de celui que la société investit comme représentant légitime d’un univers étranger. Parallèlement, cela entraîne aussi, chez ces mêmes enseignants non natifs, un sentiment d’insécurité linguistique et un respect sourcilleux de la norme et une activité hypercorrective;
  • une fonction de meneur de jeu. C’est à l’enseignant qu’il appartient d’organiser et de réguler les échanges langagiers, le guidage pédagogique pouvant être plus ou moins directif;
  • une fonction d’évaluateur. L’enseignant représente pour les apprenants – et la société – la norme de référence du langage proposé à l’apprentissage. A chaque moment de l’échange pédagogique, par le seul fait de sa présence, il est constamment chargé d’évaluer l’acceptabilité des productions réalisées par rapport à cette norme, même si son évaluation se résume parfois à un simple échange de regards.

D’après L. Dabène, ces trois fonctions cardinales organisent et structurent la métacommunication.

La chercheuse constate que la fonction de vecteur d’information se réalise à travers une série d’opérations d’information explicites, notamment il s’agit du métadiscours informatif, du métadiscours explicatif, du métadiscours descriptif (visant à rendre compte de la constitution et du fonctionnement de la langue-objet en tant que système). Cette même fonction peut aussi se réaliser par une opération indirecte - la paraphrase: l’enseignant paraphrase l’énoncé de l’apprenant en y introduisant un terme nouveau destiné à l’information.

La fonction de meneur de jeu s’actualise par toute une série d’opérations régulatrices de discours. Ce sont les opérations de ponctuation de l’échange (distribution des tours de parole, phatiques, interpellatifs, etc.), les opérations d’incitation à la prise de parole (qui peuvent se présenter sous la forme d’interrogations – « Qui sait… ? » -, d’injonctions ou de procédés indirects tels que des intonations montantes invitant à la poursuite d’une production), les opérations de mise en garde destinées à attirer l’attention de l’auditoire sur le risque encouru.

La fonction d’évaluateur peut se manifester, selon L. Dabène, par des opérations appréciatives, correctives ou indirectes (les reprises d’un énoncé correct de l’apprenant).

L. Dabène affirme qu’il n’y a pas de relation terme à terme entre les opérations et leurs réalisations. Une seule intervention de l’enseignant peut correspondre à plusieurs opérations. Par exemple, la paraphrase peut représenter à la fois une évaluation positive (opération appréciative) et un apport d’information (métadiscours informatif). Cette plurifonctionnalité des interventions constituant un des traits les plus spécifiques du dialogue pédagogique en langue non maternelle, est à l’origine de bien des incompréhensions.

Un bon nombre d’opérations peuvent se traduire par des manifestations non verbales, la gestualité et la mimique jouant un rôle non négligeable dans la régulation des échanges, dans l’évaluation et dans l’apport d’information (mimiques expressives, gestes figuratifs, etc.).

L. Dabène distingue certaines constantes dans l’ordre des opérations. En premier lieu, c’est le phénomène de mise en facteur: une bonne partie des injonctions de type métacommunicatif sont dans bien des cas fournies par l’enseignant au début d’une série d’échanges, comme une sorte de règle de jeu. Une construction emboîtée est aussi fréquente: les interventions métacommunicatives sont enchâssées dans un dialogue au sein duquel elles constituent des sortes d’incises. Par ailleurs, l’organisation des séquences peut varier considérablement en fonction de la situation d’apprentissage.

Selon L. Dabène, dans le cas d’un apprentissage guidé en situation exolingue, dispensé selon une modalité non intensive, les interventions métacommunicatives seront nombreuses, au point de constituer parfois l’essentiel du dialogue.

La chercheuseremarque que l’utilisation d’un texte provoque une plus grande proportion d’apports d’information explicites, ne serait-ce que pour élucider le sens de certains éléments lexicaux. Les exercices dits de simulation ou de scénarios qui reviennent tous à proposer à l’apprenant des improvisations sur des canevas plus ou moins pré-établis tendent à développer les opérations correspondant à la fonction de meneur de jeu (hypertrophie des injonctions fondées sur un discours sophistiqué de mise en situation).

L. Dabène est persuadée qu’un dialogue « naturel » et « spontané » est possible dans les conditions de la classe de langue étrangère, bien que ce soit généralement la relation de chacun avec un savoir et non la relation interpersonnelle qui y prédomine.292

La chercheuse constate que d’après les résultats des investigations, l’implication de l’apprenant atteint son degré maximum lorsque le sujet évoque son propre apprentissage.293

Elle conclut que c’est la métacommunication qui constitue le moment le plus authentique de la classe de langue étrangère. C’est en métacommuniquant que l’apprenant explicite son parcours de formation, appelle à l’aide et consolide ses certitudes, et c’est aussi par ce dialogue que l’enseignant observe et intervient. C’est en ce lieu, souligne L. Dabène, que se réalise le lien entre enseignement et apprentissage.

Notes
289.

DABÈNE L., « Communication et métacommunication… », op. cité, p.p.129-138.

290.

VAN DIJK R., Les Textes de l’enfermement. Vers une sociologie critique du texte. Contribution au Colloque sur l’Enfermement, Amsterdam, ronéo, novembre, 1979.

291.

DABÈNE L., « Communication et métacommunication… », op. cité, p.p.131-132.

292.

GAUTHIER A., Opérations énonciatives et apprentissage d’une langue étrangère en milieu scolaire. L’anglais à des francophones, Éd. A.P.L.V., 1981.

293.

BORGES B., Quelques aspects du rapport tâche-activité interlangagière dans des productions d’étudiants brésiliens apprenant le français. Thèse de 3-ème cycle, Université Grenoble III, ronéo, 1983.