M. Riachi nous rappelle dans sa thèse de doctorat312 que la salle d’études est un lieu où on apprend à converser, mais le type de conversation qui y est produit n’est pas identique en tous points à celles qui sont produites hors de cette salle. Elle évoque que chaque situation de communication a sa propre authenticité. Par exemple, le dialogue interrogatif en salle d’études ne ressemble à celui de la communication quotidienne. Dans un dialogue « naturel », le locuteur ne connaît pas la réponse, il cherche une interprétation d’une information inconnue (referential questions) et n’est pas certain que l’interlocuteur lui en fournirait à ce moment-là une explication s’il ne la lui demandait pas. Alors que dans le cas de l’interrogation d’apprentissage, il y a transformation du modèle: les questions posées sont de types question-sommation, grâce auxquelles l’enseignant s’adresse à l’apprenant et le somme de répondre, de démontrer des preuves à l’appui, son savoir ou son non-savoir.
D’après A. Trevise,313 le dialogue d’apprentissage se caractérise par un emboîtement d’actes énonciatifs. Il y a double énonciation et double repérage: la situation d’énonciation véritable et la situation de simulation. La première n’est tout de même pas une situation discursive réelle: les apports d’information n’ont pas le même statut, le professeur connaît les réponses aux questions, l’apprenant demande en plus si ce qu’il dit est correct. Le discours d’apprentissage est codé institutionnellement: les réponses attendues sont d’un certain type. On dirait qu’il est illusoire de recréer, en situation d’apprentissage, une réalité communicative naturelle.
M. Riachi souligne que le contexte du déroulement de la situation d’enseignement/apprentissage est bien particulier. Elle s’appuie sur les paramètres classiques: le temps, l’espace et le groupement. Un cours se déroule sur l’axe du temps à l’intérieur d’un horaire préétabli. Chaque cours a un début et une fin et il fait partie d’une séquence, avec un avant et un après. Selon Breen, il s’agit d’« un contexte social presque unique où les gens se réunissent avec le propos explicite d’apprendre quelque chose – des autres pour eux-mêmes ».314
D’après M. Riachi, travailler en salle d’études implique donc non seulement l’émergence des discours, mais aussi des actions produites en vue de l’acquisition des savoir et savoir-faire langagiers. Alors que dans la communication naturelle, les dialogues sont informels, non orientés vers un objectif de communication précis; les conversations s’établissent à partir des rencontres fortuites et se prolongent au gré de la disponibilité des interlocuteurs. De même, la salle d’études est un « lieu ritualisé » qui ne ressemble pas à un lieu ordinaire. L’examen de l’organisation interactionnelle, tant locale (la sélection des tours de parole) que globale (la gestion des ouvertures, des développements thématiques et des clôtures), a permis à M. Riachi de conclure que les interlocuteurs - apprenants et enseignant - ne sont en rien interchangeables, à la différence des conversations ordinaires où les tours de parole ne sont pas rigoureusement fixés à l’avance.
RIACHI M., Les Interactions verbales en classe de français…, op. cité, p.p. 48-49.
TREVISE A., « Spécificité de l’énonciation didactique dans l’apprentissage de l’anglais par des étudiants francophones », dans: Encrages, numéro spécial de Linguistique appliquée, 1979, p.p. 44-52.
BREEN M. P., « The social context of language learning: a neglected situation », in: Studies in Second Language Acquisition 7, 1986, p.p.87-92.