8. 0. Le français de scolarisation

R. Bouchard a consacré son article récent «Du Français fondamental à la compétence scolaire ...en passant par le français de scolarisation » 315à une double urgence qui se fait sentir actuellement dans la plupart des pays européens, aussi bien qu’en France. Selon l’auteur, elle a trait d’une part à la maîtrise des (autres) langues européennes par les enfants de chaque pays de l’Union et d’autre part à la maîtrise de celle(s) de chacun de ces pays par les enfants immigrants, souvent d’origine non-européenne.

La Russie ne fait pas partie de l’Union Européenne, mais le nombre d’immigrants provenant de ce pays est important au sein de l’Union en général et en France en particulier. Dans la troisième partie du présent travail, nous analyserons deux corpus faits à base des enregistrements réalisés par les jeunes Russes scolarisés en France depuis un certain moment. Dans ce sens, l’article en question nous intéresse. Mentionnons ci-dessous certaines idées y étant évoquées.

R. Bouchard précise que les enfants étrangers sont obligés de se comporter linguistiquement et non linguistiquement en étant en phase avec les attentes des autres acteurs – enseignants et élèves – de l’institution scolaire qui les accueille, et ce dans le cadre de diverses disciplines. On se trouve ainsi dans la perspective d’une didactique des langues « élargie » qui s’intéresse autant aux environnements de la classe de langue qu’à celle-ci, en travaillant à la construction de dispositifs d’apprentissage liant cette classe et ses environnements.

L’élève étranger doit se familiariser avec des activités langagières typiques de l’école (française) et ce sont celles-là qu’il importe de travailler en priorité avec lui, raisonne R. Bouchard, afin qu’il puisse le plus rapidement possible être scolarisé dans la classe qui correspond à son âge et à son cursus normal. C’est de la qualité de cette socialisation que va dépendre, selon R. Bouchard, la poursuite de son apprentissage du français comme des autres disciplines. Dans le même esprit, R. Bouchard estime qu’il est à permettre à l’apprenant allophone d’utiliser au mieux tous les savoirs et savoir-faire déjà appris dans son système scolaire d’origine et de ne pas oblitérer ces connaissances « déjà là » sous prétexte d’un manque d’habileté linguistique dans la langue de l’école.

Le phénomène sur lequel R. Bouchard focalise son attention, à cause de son importance particulière pour les élèves nouvellement arrivés en France (ENA), est celui des interactions scolaires, verbales et non verbales, en français et à la française, telles qu’elles se déroulent dans les écoles françaises. L’auteur particularise la compétence scolaire « à la française » que doit développer le jeune étranger pour devenir un membre de la communauté scolaire en question.

R. Bouchard souligne qu’autant en FLE on peut construire pas à pas une grammaire, autant celle-ci s’impose plus brutalement en situation orale de FLS où les (enseignants) natifs vont mettre en œuvre une palette beaucoup plus large d’outils linguistiques, se différenciant pour une part de ceux de la communication écrite. Et c’est la compréhension des énoncés oraux - cruciale pour l’ENA - qui doit rester en phase avec ce qui se dit et se passe dans la classe.

D’après R. Bouchard, le premier phénomène, non-enseigné, que l’élève va devoir maîtriser dans cet oral authentique est celui des bribes et des reformulations, lié à la dynamique de la parole vive: l’enseignant natif ne parle pas « comme un livre ». Il développe, réorganise ses interventions en fonction de l’évolution de la situation didactique et des réactions de ses interlocuteurs.

La syntaxe orale se compose généralement des énoncés longs. L’entraînement à leur compréhension prévoit une exposition préalable à l’oral authentique, rare dans les dialogues des méthodes.316 Rares sont celles qui, comme C’est le printemps en son temps, exposent leur public à des phénomènes liés à l’oral « authentique ». C’est le printemps lui, visait en effet un public d’étudiants étrangers résidant en France.

R. Bouchard précise que d’une part, le discours oral normal des enseignants de toutes disciplines expose directement l’élève allophone à des phénomènes linguistiques syntaxiques et macrosyntaxiques qu’on ne lui enseigne pas toujours dans la classe de FLE, et d’autre part, cet élève doit développer une compétence plus « simplement » locutoire, c’est-à-dire ayant trait à la réalisation matérielle des messages. L’enfant étranger doit parler de manière non seulement compréhensible phonologiquement mais aussi de manière acceptable socialement: il doit aussi adopter les caractéristiques vocales (force, mélodie…) qui lui permettront d’intégrer sa voix au chœur des voix des élèves. R. Bouchard constate que c’est l’ensemble des comportements corporels de l’enfant scolarisé (posture d’apprentissage, levée du doigt…) qui doit s’adapter aux coutumes plurisémiotiques de sa nouvelle école, au nouveau « paysage multimodal » au sein duquel ils seront interprétés. L’ENA doit d’abord saisir globalement, en résultat de ses observations dans les classes « normales », ces comportements vocaux et corporels, et ensuite repérer, à partir d’enregistrements vidéo, les pratiques de communication les plus adaptées aux classes françaises.

R. Bouchard a toujours souligné que « l’oral pédagogique est précédé, accompagné, organisé et suivi par l’écrit, voire d’une manière plus générale par l’« inscrit » plurisémiotique.317 L’écrit vient désambiguïser l’oral et préciser les contours des unités grammaticales qui le composent.318

L’auteur de l’article souligne que la participation à un cours suppose autre chose qu’une simple compétence linguistique même spécialisée. L’ENA doit être préparé à interpréter un ensemble de codifications sémiotiques d’une part, mais aussi à partager des routines de comportements au sein de la communauté scolaire d’autre part. Le rôle du matériel pédagogique plurisémiotique (manuel, documents photocopiés…) varie de manière importante, quantitativement et qualitativement, suivant les pays d’origine des enfants migrants, en fonction de critères économiques en particulier.

Notes
315.

BOUCHARD R.,« Du Français fondamental à la compétence scolaire …en passant par le français de scolarisation », dans: Cortier C. et Bouchard R. (coord.), Le Français dans le monde, n° 43, janvier 2008, p.p. 127-142.

316.

Cf. les pages 84-85.

317.

BOUCHARD R.,« Du Français fondamental…», op. cité, p.p. 134-135. Cf. aussi les pages 208-209.

318.

BOUCHARD R. & TRAVERSO V.,« Objets écrits et processus d’inscription … », op. cité.