8. 1. Compétence supra linguistique: le cours comme « discours-en-interaction »319

R. Bouchard interprète la compétence scolaire des ENA comme leur capacité de participer au discours collectif qui se tisse en classe entre les élèves et leur enseignant dans cette interaction pédagogique asymétrique.320

Il s’agit, pour l’enfant étranger, d’après R. Bouchard, de prendre sa place dans cette interaction, tant par rapport à l’enseignant (complémentarité) que par rapport aux autres élèves (co-actions). Il importe aussi pour lui tout simplement de savoir à quel moment on s’adresse à lui collectivement ou individuellement.

Ce spécialiste en didactique souligne ensuite que l’enseignant planifiant préalablement et restructurant ensuite à chaud l’activité collective en phases reconnaissables par les autres participants, doit aussi rester ouvert aux possibilités didactiques qui émergent de la vie de la classe, afin de se mettre lui-même en phase avec le vécu d’apprentissage de ses élèves ou plus individuellement, de l’un de ceux-ci.

Normalement, l’enseignant organise un « milieu », avec lequel les élèves vont devoir interagir, lui-même se mettant au second plan, devenant un simple organisateur de l’interaction. Le « devoir » des élèves est d’être en phase avec le déroulement du cours, en saisissant les transitions qui permettent de repérer le passage d’une unité d’interaction à une autre. En même temps, le devoir des élèves est de « participer », c’est-à-dire de savoir être la source acceptable socialement d’« étapes émergentes », correspondant à leurs propres besoins d’apprentissage.

Selon R. Bouchard, les interactions pédagogiques sont tout à la fois, finalisées, mêlent des interactions verbales et non verbales, et impliquent des objets et des artefacts variés. Cette complexité est particulièrement sensible dans les séances de travaux pratiques.

R. Bouchard conclut que l’intégration scolaire des ENA suppose de les rendre linguistiquement mais aussi communicativement, praxéologiquement aptes à participer aux événements langagiers spécifiques à l’école française et à ses enseignements disciplinaires, « ordinaires ». L’auteur y voit aussi l’occasion pour les enseignants de repenser (à) ces pratiques ordinaires, rendues extra-ordinaires par la présence de ces enfants étrangers qui ne connaissent pas les routines complémentaires correspondantes. Autant les ENA doivent s’adapter à l’école française, autant l’école française peut elle aussi évoluer grâce à leur présence.

R. Bouchard estime que l’hypothèse du français langue de scolarisation, progrès par rapport à la notion brute de FLE ou même de FLS vise globalement à permettre à l’ENA de mieux vivre son métier d’élève, tant verbal que non verbal au sein de la culture scolaire française (dans l’idéologie partagée des rapports enseignant-apprenants), et ce dans les meilleurs délais. Il pense que c’est dans cet aller-retour au sein de dispositifs d’intégration entre les classes spéciales et classes normales que peut se trouver la solution à cette délicate question de l’intégration scolaire et linguistique de ces élèves. D’une part, l’ENA bénéficie de ressources linguistiques extrêmement importantes, d’autre part, il vit des besoins communicatifs extrêmement prégnants.

Notes
319.

Cf. le chapitre 2, ci-dessus.

320.

BOUCHARD R.,« Du Français fondamental…», op. cité, p.136.