Comme nous l’avons déjà vu ci-dessus, la classe de langue étrangère a traditionnellement une double fonction. D’une part, c’est un lieu didactique où l’on enseigne et apprend une langue étrangère, et d’autre part on essaie d’y créer des conditions favorables pour permettre aux étudiants d’exprimer leur subjectivité, leurs opinions, de parler de leur vécu. Il arrive que dans certaines conditions les interactions verbales ressemblent davantage à celles qui se déroulent en dehors de la salle d’études. Mais ce n’est pas le cas général car l’espace interactif en classe de langue est marqué par la didacticité des échanges, remarque Yvonne Vrhovac.330 On cherche à ce que le climat soit détendu afin de provoquer des productions verbales plus riches et une relation enseignant-apprenants moins rigide . Y. Vrhovac a émis l’hypothèse que ces conditions favorisent un discours se rapprochant de la conversation .
Après l’auteur de l’article « Lire un conte en français en Croatie », nous affirmons que la composante métalinguistique est un élément constitutif de la communication. Les apprenants attendent de l’enseignant qu’il assure compréhension et transmission des savoirs. L’enseignant se sert de différentes stratégies pour orienter l’attention des apprenants sur le contenu thématique, et focaliser en même temps l’attention sur un élément de la langue étrangère qu’il considère comme important du point de vue de la construction des savoirs linguistiques. Il y a un va-et-vient constant entre une focalisation centrale qui a un but thématique d’un côté et une focalisation périphérique sur la réalisation des activités communicatives de l’autre.
Lors du travail sur le contenu du texte, les stratégies sont interactives dans la mesure où l’enseignant incite à la réflexion et les réponses, construites par plusieurs apprenants, se suivent les unes après les autres. Les énoncés repérés dans le texte provoquent une compétition entre les apprenants qui veulent être les premiers à trouver le meilleur exemple du texte, celui qui donnera satisfaction à l’enseignant.
En admettant qu’ils ne savent pas répondre à la question, qu’ils sont dans l’impossibilité de satisfaire la demande de l’enseignant, les apprenants se comportent comme de vrais énonciateurs-apprenants, ils produisent un énoncé personnel. Par sa réaction indulgente, l’enseignant leur donne le courage de continuer. Il fait avancer le dialogue en stimulant les apprenants par ses questions. Y. Vrhovac constate que l’enseignant accomplit ainsi les tâches canoniques d’un professeur de classe de langue: faire parler les étudiants, communiquer pour apprendre à communiquer, faire trouver des règles grammaticales et des formes verbales par les apprenants, faire travailler les étudiants sur la langue objet de communication. L’enseignant considère ses étudiants comme des partenaires dans la construction du savoir .
Y. Vrhovac remarque que le discours co-produit par l’enseignant et ses apprenants en salle d’études est un discours polyphonique, au cours duquel les participants exécutent d’abord leur rôle de « communicant didactique » induit par leur position institutionnelle. L’énonciateur-enseignant et les énonciateurs-apprenants accomplissent des tâches communicatives liées au rôle institutionnel et produisent des énoncés dont ils ne sont pas auteurs. Simultanément, ils produisent des paroles qui portent des marques personnelles et qui renvoient à leurs interrelations. Dans le dialogue qui se construit conjointement, souligne Y. Vrhovac, il y a de la place pour le respect mutuel des participants et l’activation d’un principe de coopération dans l’accomplissement de la tâche.
La chercheusea entrepris une expérience de lecture autonome en Croatie, ayant mis de l’ambiance plus informelle dans l’espace de la classe. Par la suite, elle a pu constater que ces changements avaient provoqué des modifications dans le discours habituel de la classe de langue: échanges de parole plus longs, chevauchements d’énoncés, réactions spontanées, rires, remarques drôles, plaisanteries, passages où les apprenants interagissent sans intervention de l’enseignant. La parole de l’enseignant est réduite au minimum.
La conversation est caractérisée par une finalité sociale interne. Selon Vion,331 elle est centrée sur le contact et implique une attention particulière à la qualité du contact. D’après Y. Vrohvac, les interactions font l’objet d’un véritable enjeu pouvant s’exprimer en termes de gains et de pertes. Plus les relations entre les interactants sont détendues, plus les positions institutionnelles s’effacent. On note une collaboration et une coopérativité remarquables qui se manifestent par une égalité de situations comme lorsque les liens sociaux sont informels.
Y. Vrhovac a prouvé le fait que dans un cadre institutionnel, les contacts sociaux peuvent être détendus et plus informels. Cette participation active des apprenants dans l’accomplissement de la tâche, au cours de la construction d’un discours non planifié, donne à la communication dans le contexte institutionnel une « dimension conversationnelle ». Les activités observées mobilisent les compétences individuelles des apprenants.
En faisant le bilan de ses analyses, Y. Vrhovac constate qu’on retrouve, quelle que soit l’activité, les traits marquants d’une interaction didactique: questionnement du professeur, focalisation sur la langue, etc., mais il apparaît que dans certaines séquences dominent un intérêt réel pour le texte et l’envie d’exprimer ce qu’on ressent. Les jeunes lecteurs ont pris position et donné leur opinion sur le contenu du texte discuté. Une interaction entre le texte et le lecteur s’est produite sans qu’il y ait nécessairement médiation du professer. Le lecteur réagissait alors comme si le texte n’était pas seulement une histoire mais quelque chose qui le concernait, qui faisait partie du « moi lecteur ».
Y. Vrhovac finit ainsi par affirmer que le statut de la communication peut évoluer du didactique au conversationnel . Elle considère ce phénomène comme un des buts de l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère.
VRHOVAC Y., « Lire un conte en français en Croatie. Pour une approche interactionnelle », dans: Le Français dans le monde, juillet 2005, p.p.87-95.
VION R., La Communication verbale. Analyse des interactions, Paris, Hachette, 1992.